Chapitre 3 - Vicky

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–– Bon, Piotr, répète après moi : je suis tout à fait capable de gravir ce muret.

–– Je suis tout à fait... Oh non, je ne vais pas y arriver.

–– Mais si ! Je suis sûre que tu peux le faire.

–– Tu vois bien que je suis trop gros, soupira Piotr. Allez, on prend un autre chemin.

Debout sur le muret, les poings sur les hanches, Vicky plissa méchamment les sourcils.

–– Piotr...

–– Non, ne me fais pas ce regard-là, la supplia-t-il, mal à l'aise.

–– Ce n'est pas bien compliqué pourtant !

Elle galopa énergiquement le long de la balustrade, d'un bord du mur à l'autre, afin de donner confiance à son compagnon. Celui-ci feignit une moue exaspérée et ramassa un rameau brisé.

–– Parle pour toi, tu es aussi épaisse que cette brindille.

–– Le physique n'a rien à voir là-dedans ! s'insurgea-t-elle, vexée.

Elle sauta du muret à pieds joints et atterrit devant Piotr qui, surpris, recula d'un pas. Elle pointa un index accusateur au niveau de son torse et appuya du bout du doigt.

–– Ce n'est pas parce que tu es bien enrobé que tu ne peux pas y arriver. Tu te mets des barrières, mon vieux ! Tout ça, c'est psychologique !

Piotr haussa un sourcil, avant de tourner les talons et disparaître dans la pénombre du bâtiment en ruines. Perturbée par le départ inopiné du garçon, Vicky n'osa même pas réagir. Elle resta là, béate, incapable de prendre une décision quant à son prochain mouvement, à son prochain geste, à sa prochaine parole. L'incertitude lui creusa l'estomac tandis qu'elle demeurait immobile, dans l'expectative, ignorant ce que Piotr avait derrière la tête. Finalement, elle soupira de soulagement en le voyant s'approcher d'elle sur le muret, les bras écartés pour garder un équilibre factice.

–– Crétin ! On a pas encore exploré cette zone, tu aurais pu te blesser ! le sermonna-t-elle gentiment. Évidemment, tu contournes, tout ça pour quoi... ?

–– Pour ne pas monter ici, acheva Piotr sur un ton monocorde.

–– J'oubliais qu'il est plus intéressant de donner du travail à un fainéant, parce qu'il trouvera toujours la solution la plus économe pour le réaliser, maugréa Vicky.

Elle resserra les bandoulières de son sac à dos et se tourna vers le bâtiment en ruines.

–– Je ne sais pas toi, mais moi j'ai l'impression qu'on va découvrir un truc sensass aujourd'hui.

Piotr haussa les épaules, les mains croisés sur son ventre proéminent.

–– On verra.

Vicky s'appuya au sommet du muret de ses deux mains et grimpa dans un seul mouvement. Elle s'épousseta rapidement, sous le regard attentif de son compagnon de fortune. Elle lui adressa un clin d'œil.

–– Un jour, tu pourras faire ça.

–– Je n'ai aucune envie de faire du sport, répondit-il. Si c'est uniquement pour frimer en sautant des murets.

Vicky leva les yeux au ciel et descendit de l'autre côté, pénétrant au rez-de-chaussée de l'immeuble affaissé. Des armatures métalliques et des renforcements en béton saillaient comme des dorsales à travers le bitume perforé. On aurait dit une forêt de solitude urbaine, dont les arbres courbés luisaient dans la lueur du crépuscule, et la mousse verdâtre se pâmait dans un gris tantôt uniforme tantôt dégradé. La lumière diaphane du soir ondulait sur les murs biaisés. Ladite lumière semblait ravir Vicky, qui brandit son reflex accroché autour de son cou vers les plafonds éventrés. De son côté, Piotr donnait de petits coups de pied maussades dans les gravats détachés des murs et des voûtes.

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