Chapitre 8 - Eva

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Assise sur un banc au bord de l'autoroute, Eva observait Piotr dévorer son repas avec un léger sourire aux lèvres.

–– Mange doucement, tu vas finir par tout vomir, plaisanta Eva en voyant son protégé enfourner un énorme bouchée de son hamburger.

Il leva les yeux vers elle, mais n'accorda aucune attention à l'égard de son conseil. Il était affamé, puisqu'il n'avait pas eu l'occasion de toucher au syrniki de son père, trop fier pour seulement tourner les talons et combler le vide dans son estomac. C'était la première fois qu'il brisait ce rituel, en deux ans de loyauté sans faille. Il lui avait expliqué ces quelques détails avant de se ruer sur son premier repas de la journée, et elle avait apprécié qu'il lui confie ainsi quelque chose d'aussi banal.

Eva dégaina son tabac, ses filtres et ses cales et roula silencieusement une cigarette. Derrière eux, à une centaine de mètres, les voitures défilaient à la suite l'une de l'autre, lancées dans une course sans début ni fin.

–– Tu as prévenu tes parents que tu étais en sécurité ?

Piotr attendit d'avoir avalé sa bouchée pour répondre.

–– Papa s'en fiche de toute façon.

Eva fit étinceler la flamme du briquet et tira une bouffée de sa cigarette.

–– Tu ne devrais pas dire ça, tu sais. Je suis sûre que ton papa t'aime énormément.

–– Vous aussi, vous parlez comme les grandes personnes, grinça-t-il après avoir avalé une gorgée de soda. Vous êtes tous pareils.

–– J'aime mes parents, souligna Eva avec un sourire en coin. Ce n'est pas facile tous les jours d'être métisse en Russie, là où le profil caucasien cadavérique est un lot commun. Pourtant ils m'ont choisie, malgré cette différence, et ont fait de moi une personnalité blindée et invulnérable.

–– Tu ne ressens rien ? s'enquit Piotr, que les propos d'Eva avaient dérivé de ses pensées moroses.

–– Oh si, beaucoup de choses, c'est juste que j'ai appris à les cacher, à les garder en moi. (Elle lui adressa un clin d'oeil au garçon avant de tirer à nouveau sur sa cigarette.) Et j'ai un métabolisme plutôt rapide.

Piotr soupira, puis jeta un coup d'oeil à ses bourrelets.

–– Ce n'est pas tellement mon cas. En plus, je m'emporte et je pleure pour un rien.

–– Qu'est-ce qui t'était arrivé pour que tu te retrouves tout seul dans ce métro, sans avoir mangé ton syrniki ?

Il haussa les épaules, avant de mordre à nouveau dans son burger.

–– Une embrouille avec ma meilleure amie, je lui en ai voulu d'avoir fait une bêtise et c'est stupide...

–– Ce n'est jamais stupide quand il s'agit d'une bêtise. Il faut que l'autre personne se rende compte de ses erreurs, c'est important, surtout en amitié.

–– En plus, c'était vraiment con de ma part. (Il but une gorgée de soda, comme pour se laisser le temps de réfléchir.) Tout ça pour une histoire de cheval.

–– Une histoire de cheval ?

Eva se dit qu'elle était bien impudente et impertinente de poser ce genre de question, que tout ceci regardait Piotr et son entourage, et elle n'en faisait pas partie. Elle n'était qu'une inconnue qui avait voulu jouer les héroïnes, et maintenant, elle se muait en psy de bas étage. Ce n'était pas son rôle, mais la situation l'encourageait à briser les barrières de la bienséance. Elle était curieuse, trop curieuse, et n'avait pas sa langue dans sa poche ; c'était d'ailleurs la raison pour laquelle elle avait décidé d'embrasser les études de journaliste.

NagovorWhere stories live. Discover now