Chapitre 4 - Gideon

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Gideon Otoski ralentit et finit par s'arrêter à la hauteur du poste de surveillance. Il releva ses lunettes opaques et les posa sur son front pour considérer le garde d'un regard en biais. Ce dernier lui rendit son coup d'œil sous la visière d'une casquette couverte de poussière, et s'adressa à lui en un kazakh inintelligible. Gideon poussa un soupir avant de retirer de la poche de son caban une carte électronique dissimulée dans la doublure de son veston. Le garde s'en saisit et l'encoda dans l'ordinateur de sécurité.

–– Oh, monsieur Otoski, veuillez me pardonner, déclara le garde en lui rendant ses effectifs, je ne vous avais pas reconnu.

Gideon rabaissa ses lunettes sur ses yeux d'une pâleur envoûtante, puis passa une main aux doigts soignés dans sa chevelure blonde gominée.

–– C'est le teint, très cher, lui répondit-il d'un ton désinvolte. Je leur ai déjà dit de mettre des foutues couleurs sur leurs cartes, mais bon, vous savez comment ils sont... L'économie, tout ça...

Il accompagna ces paroles d'un moulinet du poignet qui fit étinceler sa montre de marque, symbole de l'ironie frappante de ses propos. Puis il frappa le volant relié de cuir et fit sursauter le garde.

–– Bon je n'ai pas toute la journée. J'ai beaucoup aimé discuter avec vous, cher ami, mais ne m'en voulez pas, j'ai un rendez-vous assez urgent dans... (Il consulta à nouveau sa montre, dans l'unique but de faire briller son confort aux yeux du jeune homme éberlué devant tant d'opulence.) Oh, zut, il y a trois minutes.

Il appuya sur un bouton près de l'air conditionné, la vitre teintée se releva lentement dans un sifflement lancinant, et Gideon adressa un ultime signe de la main, avant de présenter son profil à son pauvre interlocuteur et d'avancer la voiture blindée à l'intérieur du cosmodrome.

–– Putain de poussière de merde... (Il essuya le verre de ses lunettes d'un coup de pouce.) Je préfère encore la neige. (Il toucha son cuir chevelu.) Merde, même dans mes cheveux, c'est pas vrai !

Il faillit renverser un manutentionnaire en se dirigeant vers le parking privé du directeur alors qu'il plaquait soigneusement sa tignasse contre sa nuque. L'homme fut tant surpris qu'il lâcha son carnet et qu'une bonne partie des plans qu'il portait voletèrent de part et d'autre comme des colombes délicates sous un ciel orageux. Des nuages annonciateurs des caprices de la météo survolaient la base, la recouvrant paisiblement de leur manteau de pénombre. Un vent léger mais gorgé de sable parfois caressait, parfois griffait la carrosserie neuve dans des mouvements de ressac. Gideon grommela dans son collier de barbe rasé avec minutie tout au long de son court itinéraire vers son emplacement. Il se gara à cheval sur les délimitations, sortit de l'habitacle plaqué en cuir laqué et claqua sans ménagement la portière de son carrosse généreusement prêté par ses supérieurs. Il s'épousseta rapidement et vérifia les boutons de ses manches.

–– Foutu pays. Foutus glands de m'envoyer dans le trou du cul du monde. Vivement demain matin, l'avion, la première classe, les fauteuils.

Gideon repoussa ses lunettes d'aviateur sur son nez aquilin, brisé par le fracas des armes, et se dirigea d'un pas assuré vers le hangar le plus proche, devant lequel l'attendait cinq militaires armés et un homme d'une cinquantaine d'années, serré dans un complet plus soyeux encore que le sien. À cette constatation, il grimaça intérieurement.

L'homme, le teint hâlé et les yeux légèrement bridés, lui tendit une main noueuse que Gideon serra avec effusion, pas trop mollement pour éviter qu'il le prenne pour un homme sans charisme, mais pas trop fortement pour éviter qu'il ne pense qu'il dissimule une personnalité trop malléable.

–– Monsieur Otoski. J'attendais votre venue avec grande impatience, déclara l'homme dans un russe parfait, dont seul l'accent léger qu'il réprimait trahissait l'apprentissage tardif.

NagovorWhere stories live. Discover now