Chapitre 3

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Jacky ne rentra pas cette nuit-là. Lorsque je sortis pour aller faire le ménage chez ma mamie grippe-sou, je découvris une ambiance inhabituelle dans le quartier. Il grouillait de flics. Je n'en sus la cause que le soir, en revenant de chez ma patronne. Devant le kiosque à journaux s'affichait La Voix du Nord :

Règlement de compte sanglant à Maubeuge :

Une fusillade a éclaté hier soir, rue de l'Entonnoir. Deux individus attendaient Walid Seddaoui, un homme soupçonné d'être un caïd de la drogue, à la sortie du bar, « L'Équinoxe » et ont ouvert le feu sur lui. Touché en pleine poitrine, il a été transporté dans un état grave à l'hôpital. Un passant a été blessé. Les deux agresseurs ont pris la fuite sur une moto. L'un d'entre eux a été identifié comme Ethan Legrand, également soupçonné de trafic de stupéfiants. Il est activement recherché par la police...

Je restai quelques instants immobile, le cerveau court-circuité. Je ne m'attendais pas à ce que les choses aillent aussi vite, ni aussi mal. Et puis, un truc me dérangeait : je pensais qu'Ethan serait plus... Je ne savais pas... plus chevaleresque. Tendre une embuscade comme ça et blesser un innocent, ça ne faisait pas trop héros de roman. Mais bon, peut-être avait-il été obligé de tirer sur Walid. Et les balles perdues, ça arrive... Mais d'un autre côté, tout ce qu'il y avait gagné, c'était d'avoir les flics au cul. Je tentais de ne pas y penser, mais mon idole avait commencé à glisser de son piédestal.

Je découvris sans surprise ma mère ivre morte devant la télé allumée, sa réaction habituelle quand il y avait un problème. Je la couvris d'un plaid, éteignis la boîte à rêves et allai moi-même relire quelques Harlequins pour me calmer les nerfs. Jacky ne se montra pas.

Je ne le revis pas pendant deux jours. Les flics passèrent l'immeuble au peigne fin et tentèrent d'interroger Maman, mais elle était trop bourrée pour aligner deux mots. Elle finit par émerger des vapeurs de l'alcool, puis fit comme si rien ne s'était passé. Elle parla de séries télé, des fesses d'une concurrente de Danse avec les stars, de la voix de fausset d'un aspirant chanteur, de ses anciennes copines de lycée, mais pas de Jacky. Je ne dis rien non plus, comme d'habitude, faisant mon idiote. Elle exigea que je lui achète davantage de bière, même si, sans l'argent des deals, le budget du mois suivant allait s'avérer serré. Quand à Ethan, je n'osais pas penser à lui, c'était trop douloureux. L'amour de ma vie n'était peut-être au fond qu'un vulgaire criminel, peu intelligent de surcroit. On annonça bientôt la mort de Walid à l'hôpital et je commençai à craindre de voir débarquer chez nous sa famille et ses copains. Sans doute allaient-ils attendre que les flics cessent de surveiller le quartier. Nos voisins nous évitèrent. Aucune chance de leur emprunter du fric. Une fois de plus, j'espérai que ma mère allait sortir la tête du sable et faire quelque chose, mais comme d'habitude, elle ne fit rien. C'est dans cet état d'esprit que je m'assis devant l'ordi deux jours plus tard. Je me mis sur le forum mais je n'étais pas d'humeur à discuter archéologie. J'avais désespérément besoin de parler à quelqu'un. Vraiment parler. Ou au moins en avoir l'impression. Et je me foutais des conséquences. Je me connectai à TokoLosh :

— Alors, ton nouveau job ?

— Pas fatiguant. Et j'en ai peut-être même un troisième qui se profile...

— T'en as du bol !

— Pas vraiment. Je passe mon temps à chercher. Alors parfois, je trouve. Et toi ?

J'hésitai une fraction de seconde, mais je n'en pouvais plus :

— Je suis dans la merde.

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