Néosorcière

Chapitre 16

J'arrivai pleine d'enthousiasme à la bibliothèque, le premier Septembre. Les ondes de magie faisaient toujours leur musique, mais elles ne me faisaient plus peur. À mon soulagement, James n'était pas là. Je ne savais vraiment quoi lui dire. Ce fut Cordelia qui m'accueillit. Elle paraissait beaucoup moins enthousiaste que lors de notre rencontre précédente. En fait, elle semblait très préoccupé par quelque chose. Elle rangea distraitement mes documents dans un tiroir, me tendit un badge et m'entraîna dans le couloir en brandissant un trousseau de clés.

— On est un peu juste en personnel aujourd'hui. Alors, il va falloir que je m'occupe aussi de la grande salle de lecture... Je suis déjà en retard. Heureusement, les livres à trier en priorité sont dans une pièce adjacente. Venez.

Elle me ramena jusqu'au hall d'entrée où se tenaient les vigiles. Là, elle ouvrit une porte sous l'escalier monumental. Si à extérieure le battant était fait en bois massif, de l'autre coté, il s'agissait d'un épaisse feuille d'acier. Derrière, je la suivis dans un long escalier un colimaçon éclairé par des veilleuses en forme de bougies. Autour de moi, les ondes de magie résonnaient comme un chœur d'orgues. J'étais malade de curiosité. Les marches aboutissaient à une nouvelle porte blindée que Cordelia ouvrit avec deux clés, avant de taper une combinaison sur un digicode. Nous nous retrouvâmes dans un petit vestibule à l'ancienne avec des boiseries sombres où se tenaient deux autres agents lourdement armes. Bigre ! Une vraie banque ! Tout ça pour des bouquins. Moi, je n'avais jamais vu personne voler un livre. Les perdre, les abîmer, les oublier... Mais les voler ?

Ma nouvelle cheffe salua cordialement les deux hommes et me présenta avant de déverrouiller une nouvelle porte surplombée par la figure d'une femme en tunique au visage sévère. Sans doute la science ou la sagesse. Et là... Je découvris un décor tout droit sorti d'un livre. Devant moi, une grande estrade descendait en trois marches vers une immense salle de lecture au plafond haut, sculpté de guirlandes de feuilles et de branches. Des dizaines et des dizaines de rayonnages chargés de volumes anciens s'alignaient de part et d'autre de deux travées de tables massives polies par les ans. Des lampes de bronze en forme de torchères, plantées à intervalles réguliers, baignaient la salle dans une lumière tamisée et laissaient de nombreux recoins d'ombres, le tout dans le plus grand silence. Je pouvais entendre le sang battre à mes tempes. Une cathédrale de livres dans les entrailles de la terre.

Avec un soupir, Cordelia traversa l'estrade et se dirigea vers un grand bureau qui n'aurait pas déparé un château médiéval. Au fond, du côté opposé à la porte, s'ouvrait une cheminée qui avait la forme de la gueule grande ouverte d'un dragon aux dents acérées. Une camionnette s'y serait garée sans peine. La bibliothécaire déverrouilla plusieurs compartiments et sortit un ordinateur qu'elle alluma.

— Voyons voir : liste des lecteurs autorisés pour aujourd'hui... Zut!

Je n'osai poser des questions. Le visage de ma cheffe exprimait le mécontentement, mais aussi autre chose... La peur. Elle sortit des cahiers, puis se tourna vers un panneau plein de boutons sur lequel elle pianota. Plusieurs petits écrans s'allumèrent sur le bureau, montrant des couloirs sombres entre des rayonnages, vides de toute présence. Enfin, elle pointa la cheminée du doigt:

— Tout est prêt. Le public accède à la salle par ascenseur. C'est nous qui le déverrouillons d'ici. En tant qu'aide-bibliothécaire junior, vous n'aurez pas à le faire, sauf en cas d'incendie. Je vous montrerais la procédure d'urgence...

À cet instant, le fond de la cheminée coulissa en silence et révéla l'intérieur d'un ascenseur. Trois personnes s'y trouvaient: deux femmes âgées et un quadra en costume-cravate qui s'avança vers nous d'un pas décidé. Ses talons résonnaient sur le parquet. Cordelia le regarda s'approcher avec une expression de déplaisir non dissimulée. Il vint s'appuyer sur le bureau avec un sourire triomphant.