Chapitre 10

208 28 0
                                    

Le petit bus de campagne nous laissa à un carrefour à quelques kilomètres du minuscule village de pêcheurs ecossais. Nous devions y passer la nuit avant de louer un bâteau pour nous rendre sur l'île. Meredith, Jay et Alistair remontèrent allègrement la route avec leurs sacs à dos. Je peinais à les suivre. Le paysage, une lande vallonnée de bruyère et de genêts s'arrêtait brutalement à un à-pic au-dessus d'une mer de plomb. On entendait les vagues se fracasser sur les rochers en contrebas. Le ciel bas et lourd, aux nuances outremer semblait prêt à ouvrir ses vannes à tout instant. J'avais l'impression de me balader dans le décor d'une de mes romances, sauf que dans ces recits, l'héroïne était insensible au froid et ne se prenait pas de trombes d'eau sur la tête, alors que pour moi, la possibilité apparaissait bien réelle. Et en plus, j'allais camper pour la première fois de ma vie. Que ferais-je si la tente était inondée par un déluge? Etais-je partie à l'aventure avec une bande de cinglés? Malheureusement, je n'avais plus le choix. Il n'y avait pas de bus avant le lendemain midi.

— Tu n'es pas en sucre, commenta laconiquement Bao. Mon hôte précédent a du passer des jours et des jours sous la pluie lors de ses campagnes.

— Il n'était peut-être pas sensible aux rhumes, grognai-je intérieurement.

— Par ailleurs, il doit y avoir un point nodal pas loin.

— C'est quoi encore?

— Des zones de magie particulières. Les humains ne les perçoivent pas, mais d'autres espèces, peuvent passer d'un monde à l'autre à travers dans certaines conditions. Tu seras peut-être débarrassée de moi plus tôt que prévu!

— Peut-être que c'est pour ça qu'on a installé le monastère là-bas?

— Peutêtre.

Comme pour prendre part à la discussion, les vannes du ciel s'ouvrirent à cet instant et une trombe d'eau se déversa sur nos têtes. Mes compagnons pressèrent le pas. Peu habituée aux exercices physiques, je fis de mon mieux en soufflant discrètement. Mon anorak n'allait pas me garder au sec longtemps. Apparemment, pratiquer la magie impliquait aussi de crapahuter dans la gadoue sous une pluie torrentielle. Je crois que je préférais l'histoire.

— Tu pourrais être en train de faire des fouilles archéologiques dans ce monastère et sous la même pluie. commenta impitoyablement Bao.

Putain, j'allais faire bibliothécaire. Voilà. Et j'en avais marre de cette chose qui entendait la moindre de mes idées.

Heureusement, le village apparut au détour du chemin, avec son petit pub/auberge/épicerie/bureau de poste. L'endroit ne ressemblait pas à l'image du petit village écossais de carte postale. Les maisons avaient été réparées de bric et de broc au cours des années, aussi, au lieu de coquets cottages blanchis à la chaux et couverts de chaume, on avait des bâtisses à moitié en parpaings et en briques, aux toits de tuiles sombres rallogés de tôle. Seul le pub était dans son état traditionnel. Derrière, on entrevoyait la mer entre deux maisons basses et l'île de Stormrock: un vague rocher sur l'horizon. Rien de romantique. Je m'essuyai les pieds sur le paillasson détrempé devant le pub, avant de suivre mes compagnons dans une petite salle au mobilier de bois sombre et aux trois-quarts vide. Je ne vis que trois autochtones d'âge respectable réunis dans un coin autour d'une table de billard.

— Mais il y a foule ce soir! fit une voix avec un accent américain sur la gauche.

Nous tournâmestous la tête dans sa direction, pour découvrir un jeune homme blond, mignon et souriant, au visage ouvert, attablé dans un coin de la pièce devant une bière.

NéosorcièreWhere stories live. Discover now