Chapitre 6

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Dix minutes plus tard, vêtue de vêtements dépareillés, je me glissai dans l'escalier de service. Il m'amena à un couloir qui déboucha dans le hall au bout d'une dizaine de mètres. A cette heure, il était aussi plein que les quais de la Deûle pour la grande braderie de Lille. Sous la verrière sale du plafond, une longue queue en faisait le tour pour aboutir à la cafétéria/marchand de journaux. Une autre longeait un mur beige jusqu'aux caisses sous des affiches vantant les mérites de l'arrêt du tabac. Des ambulanciers avec leurs patients sur des brancards attendaient l'ascenseur. Je m'arrêtai pour m'orienter. Soudain, quelqu'un saisit mon bras et quelque chose de dur s'appuya contre mes côtes. Je levai les yeux pour rencontrer le regard de Jacky. Son visage était déformé par la rage. Toute pensée rationnelle quitta mon cerveau.

— T'essaye de te tirer, hein ? Tu viens avec moi jusque dans la bagnole sans faire d'histoires. J'ai un flingue dans ton dos et si tu fais mine de filer, je tire. Compris ?

Je fis mécaniquement oui de la tête. Il me poussa devant lui. Cela ressemblait à une de ces scènes de série TV que j'avais vues des dizaines de fois.

— Mais, tu ne vas pas le suivre ? éclata le hurlement de Bao dans ma tête.

Ce cri débloqua en partie le fonctionnement de mon cerveau.

— Sinon, il va me tuer.

— Et si tu obéis qu'est-ce que tu crois tu qu'il va faire ? Il va t'emmener dans un endroit désert pour te mettre une balle dans la tête et t'enterrer. Il va te tuer de toute façon.

— Mais je ne peux rien faire !

— Bien sur que si ! Il n'essayera jamais de t'abattra dans ce hall au vu et au su de tout le monde, sinon, il est cuit ! Même s'il est assez fou pour tirer, vu l'endroit ou il pointe son canon, il ne fera que te blesser et tu es dans un hôpital ! On te sauvera. Et lui, entre la foule et les caméras de surveillance, il se fera prendre.

— Mais...

Dur de surmonter seize années d'obéissance et de passivité. Nous avions franchi la moitié du hall. J'entrevoyais les grandes portes vitrées qui donnaient sur le parking inondées de soleil.

— Dépêche-toi. Une fois dans sa voiture, tu ne pourras plus rien faire. Fais un grand pas sur le coté, comme ça out le monde pourra voir son arme.

L'évidence de son raisonnement me heurta soudain de plein fouet. Je m'arrêtai net et m'écartai, m'arrachant à sa prise. N'en croyant pas ma chance, je me faufilai entre deux brancards, m'attendant à chaque instant de sentir une douleur atroce dans mon dos. À la place, j'entendis une exclamation étouffée.

— Il a un pistolet !

— C'est un terroriste !

Quelqu'un me poussa derrière. Une femme me bouscula. Un concert de cris explosa dans le hall et je fus presque portée par une lame de fond de visiteurs paniqués courant vers la sortie. Je franchis les portes vitrées comme un boulet de canon et pris mes jambes à mon cou, n'en croyant pas ma chance. Je ne m'arrêtai de courir que trois rues plus loin, hors d'haleine. Je ne me serais jamais imaginée capable d'un tel exploit. Je m'adossai à une palissade et fixai le carrefour, la tête bourdonnante. Aucune trace de Jacky.

Et maintenant ?

— Tu es sûre que tu ne veux pas parler à la police ? fit Bao, perplexe.

Je secouai la tête.

— Tu sais, murmura pensivement la petite voix. Si tu te préoccupe un peu de tes congénères, tu devrais peut-être vraiment le faire.

— Quels congénères ? fis-je incrédule.

NéosorcièreWhere stories live. Discover now