Prologue

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Ses petits pieds nus descendent les escaliers menant à la cuisine. La fillette remarque l'absence d'odeur de chocolat chaud ou de café ; la table n'est pas dressée. Ses jambes maigres, squelettiques, tremblent un peu. Elle a froid, une fenêtre doit être restée ouverte. Pourtant, elle ne cherche pas à se réchauffer. Elle subit la morsure de la basse température sans broncher, le regard vide et sans vie.

C'est un jour comme un autre pour elle. Une nuit au sommeil rare, suivie d'un morne réveil sans attente, sans projet. Elle, qui autrefois se précipitait sur ses poupées avant même d'engloutir son bol de lait, se contente à présent de se lever parce qu'il le faut.

Sa mère n'est pas là, ni son père. Ils ne l'accueillent pas de leurs regards brisés en feignant la bonne humeur pour sauver les apparences. Ce n'est pas grave, elle n'a pas faim. Elle n'a plus faim de rien.

Elle entend des éclats de voix dans le salon. Elle tend l'oreille, reconnaît ses parents. Hésite. Et se décide à les rejoindre. C'est difficile pour elle ; elle peine à marcher, à mettre un pied devant l'autre. Chaque pas est une souffrance, comme si son propre corps ne pouvait plus supporter son poids. Elle est si maigre, si fragile.

Elle a si mal.

Elle s'appuie aux murs pour se déplacer. À son entrée, ses parents cessent leur discussion houleuse. Elle remarque son doudou posé sur un fauteuil. Elle n'en a plus besoin. À quoi bon se rassurer ? Les monstres existent, et ce n'est pas une peluche qui la protégera d'eux.

Personne ne peut la protéger.

La fillette pose ses yeux éteints sur sa mère, qui se détourne en tentant de ravaler ses larmes. Elle prend quelques secondes pour se redonner contenance avant de s'approcher de l'enfant. Elle lui parle, d'une voix rendue rauque par le chagrin, mais la petite fille ne comprend pas tout.

Ou ne daigne pas écouter.

Plus rien n'a d'importance.

Elle observe plutôt son père, qui affiche un air qu'elle ne lui connaît pas. Il ne sourit pas comme d'habitude, même en feignant la gaieté. La fillette ne distingue pas tout de suite la valise posée derrière lui, ni qu'il porte son manteau. Il s'approche d'elle, s'agenouille et pose sur elle ses iris qu'envahit une infinie tendresse, mais qui ne parvient pourtant pas à lui réchauffer le cœur. Ses lèvres bougent, lui murmurent des mots qu'elle n'assimile pas.

Hormis un « Je t'aime » chuchoté.

Il caresse sa joue, lutte contre les émotions qui le submergent. Il finit par la serrer dans ses bras. Trop longtemps. Quelque chose ne va pas, la fillette le sent. Il la relâche, tourne la tête, puis s'approche de sa femme, qu'il étreint à son tour. La mère fond en larmes, chancelle contre lui. Il lui glisse quelques mots à l'oreille, à elle aussi. Il les contemple une dernière fois, la douleur déformant ses traits, avant de s'emparer de sa valise, d'ouvrir la porte d'entrée et, à pas lents, de disparaître dans la lumière du jour.

La fillette observe le dos de son père, autrefois si rassurant, s'éloigner.

Elle ne le quitte pas des yeux, immobile. Jusqu'à ce que sa mère referme la porte et se laisse glisser contre le battant en braillant son chagrin, une main sur son cœur brisé.

— Athair...

C'est le premier mot prononcé par sa voix d'enfant depuis des mois.

Un mot tant de fois hurlé dans ses souffrances. Un mot tant aimé.

Une présence espérée. Une douloureuse absence.

Une déception.

Un adieu.

[Sous contrat d'édition] Les MacCoy, l'Ogre et le ChardonWhere stories live. Discover now