Chapitre 1

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— Bonjour.

Je reste immobile, intimidée par les trois individus qui se tiennent devant moi sur le pas de la porte de cette petite maison d'Édimbourg. Le vent frais se faufile sous ma veste trop légère pour le climat écossais en ce mois de septembre. Nerveuse, je remets en place derrière mon oreille l'une de mes boucles noires. Après deux heures en avion et une demi-heure en taxi, je ne dois pas avoir bonne mine.

Je pourrais tourner les talons et rentrer en France.

En deux heures et demie.

Mais c'est impossible.

Je reste figée là, à dévisager ma famille d'accueil. Je n'arrive pas à déterminer s'ils sont ravis de me rencontrer ou si c'est parce qu'ils pensent à la somme que va leur verser EF Écosse que leurs expressions sont si affables. Une nouvelle fois, je m'interroge sur le bien-fondé de ce séjour linguistique. Je ravale mes inquiétudes et plaque un sourire de façade sur mon visage.

— Hi, je réponds en anglais.

Sean Bain, le père de famille, me tend la main. Je la saisis avec maladresse. Sa paume est calleuse et chaude. Elle enrobe la mienne, toute menue en comparaison. Sa peau est mate. Surprenant.

Elia, son épouse, m'étreint comme une nièce qu'elle n'aurait pas vue depuis trop longtemps. Je serre les dents, peu habituée à de tels élans d'affection, surtout venant d'une parfaite étrangère. Les Bain ont pourtant été choisis par l'organisme de séjours linguistiques selon mes propres critères et ma personnalité. J'avais stipulé ne pas vouloir d'une famille trop intrusive ; je souhaitais avoir mon indépendance, qu'on respecte ma solitude. Mais je pressens qu'Elia va chercher à me materner et à m'apporter un amour factice. Que je ne désire pas.

— Bienvenue, Phèdre, me murmure-t-elle.

Entendre mon prénom complet me fait tressaillir. Il me faudra leur faire comprendre que l'on me surnomme « Ed' ».

Elia fait signe à son fils, Callum, un peu plus jeune que moi à première vue, de me saluer à son tour. Il me fait me sentir aussitôt à l'aise, avec son sourire franc et ses yeux pétillants couleur d'azur. Il est aussi blond que ma chevelure est sombre. Il ne me prend pas la main, ni ne m'impose une embrassade.

— Attention à ton accent, me dit-il avec gentillesse. « Hi » veut dire « oui », ici.

Son anglais est moins haché que celui de ses parents. Ses intonations, plus agréables et plus chantantes. L'accent écossais me rebute un peu.

Pourtant, c'était celui de mon père. Le roulement de ses « r » et l'aspiration de ses mots teintaient ses berceuses et les histoires qu'il me racontait. Il m'arrive encore de chantonner des ballades en gaélique écossais, même si je n'en comprends guère le sens.

— Le voyage a été long. Viens, entre, m'invite Elia. Veux-tu boire quelque chose ?

Je secoue la tête, gênée. Je soulève mes imposantes valises et prends un air contrit.

— Oh ! Oui, bien sûr, tu dois poser tes affaires d'abord. Je vais te montrer ta chambre et te faire une visite guidée.

Je préfère ne pas préciser que je voudrais me retrouver seule et me reposer. Mieux vaut ne pas m'attirer les foudres de ma famille d'accueil. Après tout, j'ignore combien de temps je resterai ici. Mon séjour est à durée indéterminée.

En investissant le vestibule des Bain, à la forte odeur de lavande et de parquet ciré, je repense à l'argent mis de côté par mon père. À sa mort, j'en ai hérité, avec pour consigne de l'utiliser pour une immersion en Écosse, son pays natal.

[Sous contrat d'édition] Les MacCoy, l'Ogre et le ChardonWhere stories live. Discover now