Chapitre 9

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Je détaille l'homme qui me fait face. Ses mèches cuivrées tombent sur son front haut, royal. Son nez, droit, aquilin, me rappelle le mien lorsqu'il se fronce. Son visage ciselé acère ses traits durs, poncés à même la sévérité, l'autorité. Les responsabilités. Lui aussi m'observe, de ses yeux qui semblent d'or liquide. Jamais je n'ai croisé un regard aussi perçant. Mais ses iris ont beau paraître faits de métal chaud, ils ne dégagent que de la froideur. Il n'y a pas de pitié dans ces prunelles.

L'homme a les bras croisés. Le tissu de sa chemise est tendu sur ses muscles arrondis. Les manches retroussées laissent apparente sa peau nervurée. Sa large poitrine se gonfle au rythme de sa respiration impatiente. Agacée ? Bien campé sur ses longues jambes, il me domine de sa haute stature. Quel âge a-t-il ? Je miserais sur une trentaine d'années.

— J'espère que tu as une bonne raison pour molester une femme, Dyclan.

Les poils de mes bras et de ma nuque se hérissent lorsque j'entends sa voix au timbre de cathédrale. Impérieux, sec. Puissant. Quant à son accent, je n'en avais jamais entendu de si prononcé. À croire que le gaélique est sa langue courante et que parler anglais lui coûte. Même mon père, pourtant Écossais pure souche, était plus doux dans sa prononciation.

Dyclan désigne l'uniforme que je porte.

— Elle n'a rien à faire là, lâche-t-il.

Encore choquée par sa brutalité d'il y a quelques instants, je reste muette. J'aurais pu chercher du secours auprès du nouvel arrivant, mais je sais, je sens, qu'il ne me l'apportera pas.

Il n'est pas intervenu pour m'aider.

Mais pour recadrer.

— En effet, admet l'inconnu, les yeux fixés sur la licorne brodée sur ma poitrine.

Il décroise les bras, fourre les mains dans les poches de son jean, puis hausse les épaules.

— Fais-en ce que tu veux. Elle n'est pas dans son droit.

Et il tourne les talons et me laisse à la merci de Dyclan.

— At... Attendez ! parviens-je à articuler. Ne me laissez pas, s'il vous plaît !

Je me décolle du mur et me précipite en direction de l'inconnu. Je ne veux pas souffrir. Pas encore.

Mais l'homme ne se retourne pas lorsque je l'appelle. Il m'ignore.

L'indifférence.

Je la hais.

Elle et le silence. Celui que l'on garde pour ne pas avoir d'ennuis. Celui du déni. De la couardise.

Je tangue dans ma course. Je sais que Dyclan ne me suit pas, mais je suis terrorisée malgré tout. Je trébuche, me rattrape. Arrivée à la hauteur de l'inconnu sans pitié, je ne réfléchis pas. Je lui agrippe le bras et plante mes ongles dans sa peau. Je sens son bras puissant se gainer pour supporter mon poids.

Avec lenteur, l'homme abaisse le regard sur moi.

— Quoi ? lâche-t-il, atone.

— Je...

Je dois me reprendre. Retrouver de l'assurance.

L'homme me force à le lâcher, dans un geste brusque qui me déstabilise. Je me réceptionne avec maladresse.

— Elle n'a rien vu, intervient Dyclan.

Shut yer geggie ! ordonne l'autre.

Je sursaute.

— Un peu de dignité, femme, éructe-t-il d'un ton venimeux.

Il m'empoigne par le col, à l'arrière de ma nuque, et me remet sur pied d'un seul bras.

— Il n'y a pas de doute, tu es bien une Frangach pour te soumettre avec une telle facilité, assène-t-il.

Je ne sais quoi répondre. De dignité, je n'en ai plus. Depuis longtemps. Il ne me reste que la colère, que je sens poindre au creux de mon estomac. Je fixe l'inconnu droit dans les yeux, bien que je sache que c'est une terrible erreur. On ne provoque pas un chien enragé de la sorte... ou il vous saute à la gorge.

Je vois une ombre traverser ses prunelles.

— Depuis combien de temps travailles-tu ici ?

Je cille, confuse, mais refuse de lui répondre.

— Nous nous sommes déjà rencontrés ?

Il doute. Je le vois. Pourtant, si j'avais croisé un tel homme, avec un regard ambré si singulier, je m'en souviendrais. Il semble sortir tout droit des contes écossais ou des Highlands d'autrefois.

— Tu me sembles familière.

Je secoue la tête.

— Jamais.

Il continue à me dévisager, méfiant. Il saisit mon menton entre ses doigts et commence à tourner mon visage, comme il examinerait du bétail. Il semble contrarié... perdu ?

Je finis, enfin, par réagir. Ma main claque sur la sienne pour l'éloigner.

J'entends le souffle de Dyclan se couper net. Pourtant, il est à plusieurs mètres de nous. L'inconnu reste figé, sa main suspendue près de ma joue. Il me scrute et, soudain, son visage se fend d'un sourire torve.

Des frissons me gagnent.

— Comment oses-tu ! vocifère Dyclan.

Il nous rejoint à grandes enjambées. Son bras se lève, prêt à... quoi ? Me gifler ?

Il va me gifler.

Comme une petite fille.

Je me recroqueville, appréhendant le choc.

Mais l'inconnu bloque le bras de Dyclan avant qu'il ne frappe.

— Is toil leam e.

Dyclan s'écarte aussitôt et baisse les yeux.

Pourtant, je ne me sens pas rassurée. Je n'ai pas compris un traître mot de ce que l'inconnu a dit, mais un pressentiment éclot dans un recoin de ma tête.

Une guerre.

Juste entre l'inconnu et moi.

Le chasseur et sa proie.

Ses yeux de prédateur glissent sur moi, tels des lions devant une biche estropiée.

— Phèdre !

Je hoquette à mon nom et cherche du regard Lachlan, dont j'ai reconnu la voix. Je l'aperçois en bas des marches. Derrière lui, Evy, essoufflée. Lorsqu'elle découvre l'inconnu, ses traits se décomposent.

— Good Lord..., gémit-elle.

[Sous contrat d'édition] Les MacCoy, l'Ogre et le ChardonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant