Chapitre 5

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Le présent accord de confidentialité est conclu entre :

Madame Phèdre DUVAL

Et

Monsieur Lachlan O'CONNOR

Et

Les membres VVIP de The Unicorn

[...]

Phèdre Duval s'engage à ne rien dévoiler de ce qu'elle pourra voir, entendre, sentir dans l'exercice de ses fonctions au sein de l'Unicorn.

Lachlan O'Connor s'engage à assurer la sécurité de Phèdre Duval, dans le cas d'une mésentente entre Phèdre Duval et les membres VVIP.

Phèdre Duval n'est pas autorisée à entrer dans le salon VVIP, sauf sur demande expresse des membres VVIP et avec l'accord de Lachlan O'Connor.

Phèdre Duval n'est pas autorisée à faire appel aux forces de l'ordre, sauf sur demande de Lachlan O'Connor et des membres VVIP.

Phèdre Duval n'est pas autorisée à prendre d'initiatives impliquant les corps médicaux, sauf sur demande de Lachlan O'Connor et des membres VVIP.

Phèdre Duval est soumise à l'autorité de Lachlan O'Connor et des membres VVIP et se doit d'obéir à toutes injonctions de ces derniers.

Phèdre Duval ne dépend que de Lachlan O'Connor au sein du staff de l'Unicorn.

Phèdre Duval n'est pas autorisée à enquêter sur Lachlan O'Connor ou les membres VVIP.

[...]

Je reste hébétée devant cet accord. Au fil de ma lecture, mes sourcils se sont haussés de plus en plus. Mais que croit cet Irlandais ? The Unicorn n'accueille pas des stars internationales, si ?

— Quel est ce club, au juste ? ajouté-je sans pouvoir ravaler ma langue. Un Beggar's Benison remis au goût du jour ?

Lachlan hausse un sourcil, sans doute surpris par ma référence.

— Non, l'Unicorn n'est pas un club libertin, si telle est votre question, me répond-il avec calme. Mon établissement est discret et bien sous tous rapports. Pas de prostitution, de drogues, ou que sais-je encore. Si relations intimes il doit y avoir entre mes clients, la pudeur est de mise sur ce point.

« Sur ce point », relevé-je malgré moi. L'Unicorn est un iceberg, et je suis convaincue que ce Lachlan en protège la partie immergée.

La plus dangereuse.

— Je ne pense pas que votre accord de confidentialité soit parfaitement conforme aux droits de l'homme, rétorqué-je, et je ne suis pas une adepte de l'esclavage.

— Quelle rudesse.

— Allez-vous enfin me dire en quoi consiste le travail que vous me proposez ?

L'Irlandais émet un petit rire de gorge et me tend un deuxième contrat. Je me penche pour en découvrir la teneur.

Et traduis : « Femme de ménage. »

— Je m'amuse à chaque fois de la surprise des étudiants d'EF Écosse lorsqu'ils découvrent le poste que je leur réserve, ricane Lachlan devant mon air déconfit. Il faut dire que ces gamins nés avec une cuillère en argent enfournée dans leur bouche au palais de luxe ne s'attendent pas à devoir plonger les mains dans la cuvette des sanitaires.

— Est-ce pour cela qu'ils n'ont pas tenu plus d'une semaine ?

L'Irlandais se rembrunit.

— Entre autres.

Il se lève, me signifiant ainsi son désir d'accélérer notre entrevue. Je ne suis néanmoins pas décidée à signer quoi que ce soit.

— Monsieur O'Connor...

— Lachlan, me corrige-t-il.

— Lachlan, pouvez-vous au moins me dire quelle est l'activité de votre établissement ?

— Je ne crois pas avoir saisi le sens de votre question.

— Un tel accord de confidentialité, pour une simple femme de ménage... Vous ne faites rien d'illégal, n'est-ce pas ?

L'Irlandais arque un sourcil.

— Si tel était le cas, je serais bien bête de vous l'avouer. Vous n'avez encore rien signé, et ma confiance se trouve au bout du stylo qui encrera votre nom au bas de ces pages.

Je ne bronche pas. Non, je ne signerai pas. Je trouverai un autre job – avec l'aide d'EF. Cet endroit est étrange, louche. Je n'ai pas fui le danger pour me plonger tête baissée dans un nouveau bourbier.

Lachlan soupire et s'appuie sur son bureau immaculé.

— Je suis l'un des rares employeurs à coopérer avec EF Écosse. À proposer en outre un travail de nuit, solitaire, ne nécessitant pas de compétence particulière, ni de lier des relations sociales. Je ne vous demande que de faire briller les sols, de lustrer les cuivres et de récurer les latrines. Un « bonsoir » en arrivant et un « bonne journée » en partant, c'est tout. Balais, serpillières et détergents seront vos principaux collègues de travail. Cet accord de confidentialité n'est qu'une formalité. Vous ne voulez pas le signer ? Soit. Dans ce cas, nous en avons terminé.

Je baisse les yeux sur les deux contrats devant moi. Maintenant que Lachlan m'a promis tranquillité, solitude et salaire, j'hésite. Je m'empare du stylo, mais le laisse suspendu au-dessus des pages.

Ce travail me permettrait de rester dans l'ombre sans jamais me faire remarquer. Je suis d'un naturel consciencieux. Si je suis scrupuleusement les consignes, il n'y a aucune raison pour que je me retrouve dans une situation délicate.

Si EF Écosse collabore avec Lachlan O'Connor, c'est qu'ils ont mené une enquête assidue sur l'Unicorn. Les activités de ce club sont forcément légales.

N'est-ce pas ?

Nettoyer, lustrer, récurer : ce n'est pas bien compliqué.

Je pose la mine du stylo sur la feuille qui scellera mon sort pour les mois à venir.

Et une curieuse pensée me vient à l'esprit.

Si mon père avait été là, il ne m'aurait jamais laissé faire.

Son visage m'apparaît, sévère et droit. Son regard aussi bleu que le mien, impénétrable. D'un naturel autoritaire et dominant, il prenait soin de notre famille sans jamais faiblir. Il m'a inculqué ses valeurs et ses principes, m'a transmis une rigueur indispensable pour affronter la vie. Pourtant, malgré son naturel méticuleux, il me répétait sans cesse de toujours me fier à mon instinct.

Aujourd'hui, celui-ci me dicte la prudence, m'encourage à prendre mes jambes à mon cou et à quitter cet endroit.

« C'est en sonnant la retraite d'une bataille perdue d'avance que l'on gagne la guerre. » C'est ce que mon père m'aurait dit.

Je pince les lèvres. J'entends ces mots aussi clairement que s'il se tenait à mes côtés.

Le ressentiment m'envahit alors. Un élan de colère et de rancœur me broie l'estomac et m'obstrue la gorge.

D'un geste rageur, je signe le contrat qui me fait face.

Moi, je ne bats jamais enretraite. La guerre, je l'emporte de front.


. The Beggar's Benison est un célèbre club libertin du XVIIIe siècle où se réunissaient des gentilshommes de la haute société pour converser de sexualité et d'anatomie, lorsqu'ils n'avaient pas recours au service de prostituées.

[Sous contrat d'édition] Les MacCoy, l'Ogre et le ChardonWhere stories live. Discover now