Chapitre 4

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Le bureau de l'Irlandais me surprend. Je papillonne des cils tant la pièce que je découvre est colorée et pleine de peps. Une grande table d'un blanc laqué, au design chic et alambiqué, fait face à une fenêtre à barreaux par laquelle je ne perçois que la nuit noire. La chaise aux formes sinueuses contraste avec la pureté du bureau par son patchwork bleu, rouge, gris, noir... un assortiment de couleurs qui me fait penser à la girafe de la publicité Skittles - sauf qu'elle aurait dégobillé son arc-en-ciel plutôt que d'en faire des bonbons fruités. J'ose à peine m'avancer sur le tapis en laine multicolore.

J'ai la désagréable impression d'avoir atterri dans l'antre d'une YouTubeuse. Un endroit qui, de prime abord, ne correspond pas à l'homme qui s'installe à son aise derrière le bureau.

Lachlan sort un dossier d'un tiroir tout en me détaillant d'un œil. Je me sens soudain ridicule, dans mon jean et mon vieux pull élimé, face à cet homme impeccable dans son costume trois-pièces. Il respire l'argent et le luxe, à l'image de son club.

— Très bien, mademoiselle Duval. Asseyez-vous, je vous prie.

Je m'exécute.

— Phèdre Duval, résume-t-il, vingt-quatre ans, étudiante d'EF Écosse, en immersion totale chez les Scots.

Il marque un petit temps d'arrêt.

— « Phèdre », répète-t-il en s'efforçant de le prononcer à la française. Plutôt original.

Je sais qu'il attend que je lui raconte une anecdote à ce propos. Il va être déçu. Je me contente de sourire sans un mot.

Je n'aime pas mon nom. Je n'ai jamais compris pourquoi ma très chère mère a tant tenu à me donner le prénom de l'héroïne désabusée d'une tragédie grecque. Une héroïne que je trouve absurde et immature. L'amalgame est très vite fait, et c'est un fardeau plutôt lourd à porter.

— Oh ! d'après les informations que l'on m'a données, vous seriez bilingue. Ah ! oui. Un père écossais. Pourtant, « Duval » sonne très français.

Il m'interroge du regard, dans l'espoir que je m'explique. J'obtempère de mauvaise grâce.

— J'ai pris le nom de ma mère à ma majorité.

— Vraiment ? Quel était le nom de votre père ? Par ici, c'est plutôt amusant de retrouver des patronymes aux accents claniques. Un peu comme en Corée, vous savez... « Park », « Lee », « Kim »... Ou en Chine, comme...

— Monsieur, je doute fort que le nom de mon père vous donne une quelconque indication sur mes compétences.

Traduction : « Ça ne vous regarde pas, l'Irlandais. »

Il assimile le message implicite sans s'en offusquer.

— Sujet sensible, donc, lâche-t-il.

Il écarte son dossier du dos de la main, comme s'il n'était qu'un moucheron insignifiant.

— Qu'importent vos compétences, nous ne sommes pas ici pour en débattre. J'ai un partenariat avec EF Écosse, qui m'envoie ses étudiants pour leur apprendre ce qu'est le travail. Beaucoup n'ont jamais levé le petit doigt de leur vie ; lorsqu'ils sont engagés dans mon club, cela leur fait un sacré choc.

— Dois-je comprendre que je suis déjà recrutée ?

— C'est à vous de me le dire, mademoiselle Duval. Après tout, c'est vous qui avez déboursé une fortune auprès d'EF Écosse.

Il s'enfonce dans son siège et joint ses mains sur ses genoux.

— J'ai accueilli sept étudiants dans mes locaux jusqu'à aujourd'hui. Aucun n'a tenu plus d'une semaine – et c'est un généreux arrondi. Ce que je veux éviter, c'est la perte de temps. Pour vous comme pour moi. Si vous êtes certaine de tenir la distance, vous pouvez commencer dès demain. Si vous avez ne serait-ce qu'un infime doute, vous savez où se trouve la porte.

Je fronce les sourcils. Sept étudiants, et aucun n'a tenu la route ? Je frotte en toute discrétion mes mains moites sur mes cuisses.

— Je ne sais quoi vous répondre, dis-je d'une voix égale. Je n'ai jamais travaillé en tant que barmaid, ni serveuse, même si j'ai déjà exercé un grand nombre de petits boulots. Ne devriez-vous pas m'interroger sur mes qualités, mes défauts, mes précédentes expériences ?

— Les mensonges ne feront que vous desservir une fois dans l'arène, rétorque-t-il du tac au tac.

Je trouve le choix de ses mots curieux. Une « arène » ? Rien que ça ?

— Et vous ne serez ni barmaid, ni serveuse, ajoute-t-il en me regardant droit dans les yeux.

Je me raidis, soudain mal à l'aise. Du moins, plus que je ne l'étais jusqu'à présent. Je devine à son ton que ce poste ne me plaira pas. Mon visage doit laisser transparaître mes doutes : Lachlan se met en effet à sourire, amusé de ma déconvenue. Il ouvre un nouveau tiroir et fait glisser jusqu'à moi un contrat de plusieurs pages.

— Lorsque l'on rejoint les rangs de l'Unicorn, il y a des règles à respecter. Beaucoup de règles. Ces dernières sont listées dans cet accord de confidentialité.

— Un accord de confidentialité ? répété-je, ahurie.

Le sourire de l'Irlandais s'élargit. Quant à ses yeux, ils ne laissent rien transparaître de ce qu'il pense.

— Vous ne pourrez avoir le job qu'une fois votre signature apposée au bas de chacune de ces pages.

Me prend-il pour une idiote ? Comment puis-je parapher ce tas de feuilles sans même savoir à quoi je m'engage ? Je m'empare du contrat. Puis, avec lenteur, j'en lis chaque point avec minutie. Je suis consciente du regard de Lachlan qui me scrute avec impatience.

En découvrant les clauses du contrat, je reste médusée au point d'en avoir la chair de poule.

— Mais... ce job... Qu'est-ce que c'est ? Un poste au Scottish Parliament ?

[Sous contrat d'édition] Les MacCoy, l'Ogre et le ChardonWhere stories live. Discover now