Chapitre 2

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Avant de descendre au salon, je prends le temps de me changer, optant pour un jean et un pull d'automne. J'aurais apprécié de prendre une douche, mais il ne me paraît pas poli de faire attendre les Bain plus longtemps.

Arrivée en bas des escaliers, je perçois une discussion animée en gaélique. Je signale ma présence une fois dans le salon en me raclant la gorge. Malgré cela, trop occupés à débattre au-dessus d'une carte d'Édimbourg, Sean et Elia ne me remarquent pas. Callum, adossé au mur, une tasse de café à la main, les observe se chamailler, un sourire en coin.

— Ne le prends pas mal, me lance-t-il. Dès qu'ils entrent en conflit, plus rien ne compte.

Il me fait un clin d'œil avant de m'expliquer.

— Ils ne parviennent pas à se mettre d'accord sur le meilleur itinéraire pour te rendre à ton futur boulot.

Mon travail. Pour un peu, je l'aurais oublié. Dans deux jours, je passerai un entretien dans un night-club. C'est EF qui a tout arrangé, conformément à mes attentes. Un emploi nocturne m'autorisera à dormir le jour, et ainsi, je n'aurai pas à croiser ma famille d'accueil. Pas d'attache, pas de bureau, pas d'effort social à fournir.

Je ne sais pas encore en quoi consiste le poste. Je verrai cela à l'entretien. EF peut me faire d'autres propositions, le cas échéant.

— J'attends encore un peu avant de leur dire qu'il existe une très chouette application sur portable pour se repérer en ville, reprend Callum.

Il m'arrache un rire que je masque derrière une toux gênée. La voix tonitruante de Sean retentit soudain, me faisant sursauter. Il se lance dans une litanie incompréhensible.

— Sean Bain, tu sais très bien que je ne comprends strictement rien lorsque tu te mets à japper en gaélique ! gronde Elia.

Sean papillonne des cils, comme s'il sortait d'une transe. Penaud, il s'excuse. Enfin, le couple me remarque. Elia se précipite aussitôt vers moi, l'air contrit, et m'invite à m'asseoir sur le canapé. Je m'exécute et accepte la tasse de café qu'elle me sert.

— The Unicorn n'est pas si simple à trouver, me dit-elle en s'installant près de moi.

The Unicorn. Le nom du night-club. Je le trouve tout à fait approprié. La licorne est l'animal national de l'Écosse. Indomptable, elle est bien trop noble pour se laisser capturer ; si cela devait arriver, elle se laisserait mourir. Ce mythe symbolise bien les valeurs écossaises, le tempérament de ses habitants. Leurs terres suintent encore du sang de leurs ancêtres.

Je ne sais pas à quoi m'attendre. « Night-club », c'est un peu vague pour moi. Est-ce un bar ? Une boîte de nuit des plus classiques ?

Je surprends le regard de Callum sur moi. Ses yeux sont soucieux. Je me raidis, mal à l'aise. Pourquoi me dévisage-t-il ainsi ? Il se détourne toutefois très vite ; je n'étais pas censée remarquer son attitude.

— Édimbourg a un très bon réseau de bus, enchaîne Elia. Notre arrêt est de l'autre côté de la rue, devant la maison des Genyworth. Tu l'as peut-être remarquée en arrivant : c'est la grande bâtisse qui aurait bien besoin d'un ravalement.

Mme Bain s'épanche sur le jardin des voisins. Je ne l'écoute que d'une oreille. Un autre étudiant y verrait sans doute l'occasion de peaufiner son anglais, mais apprendre la langue du pays n'est pas dans mes projets.

Je suis déjà bilingue.

Merci, Papa.

Plus tard, au souper, Sean m'interroge sur mes envies

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Plus tard, au souper, Sean m'interroge sur mes envies. Quels endroits j'aimerais découvrir, voir. Si j'ai des questions sur la politique de l'Écosse. Je clos la conversation assez vite, affirmant vouloir prendre mes marques au travail avant de visiter la région. En réalité, je n'ai pas réfléchi à la question. Du bout de ma fourchette, je trifouille mon stovie, un ragoût à base de viande et de légumes bouillis. Je le trouve délicieux, et il apaise mon estomac resté vide depuis mon départ de France.

Mon père avait appris à ma mère comment préparer quelques plats typiques de son pays. Elle n'en a plus jamais cuisiné depuis qu'il est parti. Tant mieux : c'était une horreur lorsqu'elle essayait. Redécouvrir le stovie me fait plaisir. Elia me semble être un véritable cordon-bleu.

Après avoir quitté la table, je m'apprête à rejoindre les escaliers quand Callum m'intercepte.

— Hé ! attends une minute !

Il sort un trousseau de clés de sa poche, en détache celle de sa voiture et me la tend.

— Utilise ma vieille carcasse pour te rendre à ton boulot. Mon université n'est pas très loin, je peux y aller en bus.

— C'est gentil, mais...

— Tu en auras besoin, me coupe-t-il. Ma voiture n'est peut-être pas des plus endurantes, mais elle démarre vite. Et elle est rapide.

— Pourquoi aurais-je besoin...

Il ne me laisse pas le temps de finir.

— Et si tu souhaites que je vienne te chercher au boulot, fais-moi signe. Même s'il est quatre heures du matin.

— Callum, on ne se connaît pas, je ne peux pas te demander ça.

— Édimbourg est comme toutes les grandes villes. La nuit, ses rues deviennent ténèbres.

Et il me laisse là, coite, incapable d'ordonner mes pensées.

La nuit, les rues deviennent ténèbres.

Quelle étrange formulation ! Oui, les nuits sont dangereuses, surtout pour les femmes. Mais c'est le cas partout. J'ai l'impression que Callum ne m'a pas tout dit. Suspicieuse, je fais tourner la clé entre mes doigts un instant avant de la déposer sur la rambarde de l'escalier. Mon nouveau colocataire la trouvera en montant se coucher.

Je ne veux rien lui devoir. J'ai toujours su me débrouiller seule.

Ça ne changera pas.

[Sous contrat d'édition] Les MacCoy, l'Ogre et le ChardonWhere stories live. Discover now