Chapitre 8

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La rambarde sent les arômes boisés de la forêt. Je caresse du bout des doigts le rameau qui y est sculpté.

Plus je descends, plus une odeur de cigarette se fait perceptible, mêlée à des fragrances de bière. Une fois en bas des marches, j'entends des éclats de voix, des rires et quelques bribes de cornemuse. La luminosité du couloir m'agresse la rétine : ici, les lumières sont chaudes et vives. L'ambiance est bien plus conviviale qu'au rez-de-chaussée.

Tandis que je m'avance en direction de ce que je suppose être la salle de repos du staff, je croise de nombreux tartans accrochés au mur. Des verts, des bleus, des rouges... J'admire les tissus aux motifs quadrillés et finis par m'arrêter devant un blason sous cadre. Je reconnais l'emblème écossais, mais je fronce les sourcils.

Deux licornes ceignent les armoiries du pays.

Or, si mes souvenirs sont bons, l'une d'entre elles devrait laisser sa place à un lion, symbole de l'Angleterre, comme me l'a expliqué Sean Bain dans ses efforts pour me faire découvrir la culture écossaise.

Curieux.

Je hausse les épaules et poursuis mon chemin. En passant devant une porte – les sanitaires, je suppose – je suis soudain frappée par les bruits qui s'en échappent.

Une nouvelle fois, je m'arrête.

Les sons que je perçois sont reconnaissables entre tous : ce sont ceux de baisers échangés, de murmures susurrés. Je me sens gênée d'avoir surpris ce bref échange intime. Je m'apprête à tourner les talons, mais la porte s'ouvre. Je me retrouve face à un couple aux peaux encore moites et aux cheveux défaits. Leurs sourires ne mentent pas. Ils sont satisfaits, repus.

Mais leurs traits épanouis s'affaissent en me découvrant.

La fille est brune, très belle. Ses yeux verts s'écarquillent et ses joues s'empourprent. Elle tire sur sa minijupe et recule derrière son compagnon. Je me sens tressaillir lorsque la surprise de ce dernier se dissipe et se mue en une colère noire. D'instinct, je fais un pas en arrière.

— Retourne avec les autres, ordonne l'homme, d'un ton brutal, à sa compagne.

— Mais elle nous a vus..., geint la fille.

— Je m'en occupe. Va.

— Dyclan...

— Fais ce que je te dis !

Je sursaute, la fille aussi. Elle finit par obéir et détale, épaules rentrées, me laissant seule avec ce Dyclan.

Qui ne porte pas l'uniforme du club.

Je me retrouve brusquement plaquée contre un mur, sous un tartan vert et rouge qui me chatouille le haut du crâne. Dyclan a empoigné la manche de mon uniforme et darde sur moi un œil meurtrier.

Les souvenirs explosent en moi, me vrillant l'estomac. La nausée me gagne. Je serre les dents, pince les lèvres pour ne pas vomir sur les chaussures de l'homme qui me fait face.

La peur vient ensuite. Elle rugit dans mes oreilles, tambourine à mes tempes et fouette mon cœur.

Je dois me rappeler ce que j'ai appris. Un coup de genou, là, entre ses jambes. Lui tordre le bras, donner un coup de coude dans le creux du sien.

Agir.

Réagir.

J'ai peur.

Papa, j'ai peur.

Ma voix d'enfant résonne dans mon esprit anesthésié.

— Qu'as-tu vu ? me crache Dyclan. Réponds-moi ! Qu'est-ce que tu as vu ?

— Rien, je le jure ! glapis-je d'une voix étranglée.

— Tu as intérêt à garder ta langue, ou je te la couperai.

Ses yeux s'étrécissent. Mes poils se dressent.

Papa, il me fait peur.

Des larmes perlent au coin de mes yeux. Je les ravale à la force de ma volonté. De ma hargne.

— Je n'ai rien vu, répété-je, plus assurée. Absolument rien.

Ses doigts s'emparent cette fois de ma gorge. J'entoure son poignet de mes deux mains. La terreur me tétanise.

Je sais comment réagir : je ne dois pas bouger. Il ne veut jamais que je bouge. Sinon, il me frappe. Me bat.

Me laisser faire. Attendre qu'il ait terminé.

Je ferme les yeux. Mes muscles se relâchent, comme ils en ont l'habitude. Comme autrefois. Je lâche son poignet. Mes bras retombent, inertes, le long de mon corps.

Papa, où es-tu ? Tu ne viens pas.

Papa, j'ai peur.

Un sifflement retentit soudain. Bref, strident, incisif. Il me fait revenir dans le présent. J'ouvre les paupières au moment où les doigts quittent ma gorge.

Mais ce n'est pas Dyclan que je vois en ouvrant les yeux. C'est un autre homme. Dont les cheveux acajou, ébouriffés, jouent avec la lumière dorée du couloir.

[Sous contrat d'édition] Les MacCoy, l'Ogre et le ChardonWhere stories live. Discover now