la Meute

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Les odeurs de la carcasse arrivèrent à ma truffe, réveillant ma faim. Je m'approchai timidement de la viande, oreilles couchées et queue entre les pattes pour montrer ma soumission.

Typher, le loup Bêta de la Meute, grogna sévèrement pour me mettre en garde. Un pas de plus, et je me faisais mordre. Je décidai alors de rester où j'étais, observant avec envie la chair qu'avalaient sauvagemment mes compagnons.

Je remerciai intérieurement le chevreuil mort, qui avait dû tout donner pour vivre... Je pensais être le seul loup de la Meute à avoir cette conscience de l'autre. Nous pouvions certes communiquer mentalement (du moins jusqu'à un certain niveau), mais les autres loups ne me semblaient pas avoir l'idée de se mettre à la place de l'autre, de le comprendre.

Je n'avais pas que ça comme particularité, malheureusement, et je me maudissais souvent pour ça. Par exemple, j'avais des yeux dorés très vifs, qui avaient beaucoup perturbé les autres canidés et m'avaient valu cette place d'Omega... J'étais aussi plus intelligente que les autres, plus rapide et fine, cela étant d'ailleurs surtout dû au fait que je ne pouvais manger beaucoup.

L'Alpha, nommé Alessandro, me tira de mes pensées. Les loups s'étaient régalés de la viande, me laissant quelques restes encore collés aux os. Alessandro me pressa de manger d'un regard dominant.

Je sautai sur la carcasse, arrachant chaque miette de chair avec empressement. Ma faim un peu calmée et le chevreuil désormais squelette, je m'allongeai sur un rocher. La mousse et les sapins sentaient bon, et je profitai de l'air doux de la forêt.

Je pensai à Alessandro. C'était un grand loup gris-doré puissant, prédestiné à devenir Alpha. Sa compagne, Mira, était plus petite que lui, et, bien que sage et réfléchie, elle pouvait se montrer très agressive.

Je m'endormis en pensant aux deux alphas, rois de la Meute, qui n'avaient pas pour autant une vie enviable. Mais mon rôle d'Omega était probablement le pire de tous. L'Omega est le loup qui reçoit toute la violence de la Meute, stabilisant ainsi la colère de celle-ci. Les blessures graves n'étaient pas rares, en ce moment même je souffrais d'une morsure à la patte causée par Typher, le Bêta. C'est sur ces pensées moroses que je sombrai dans le sommeil.
  
Une pluie fine me réveilla, et je trottinai d'un pas léger vers Émérite, ma meilleure amie. La louve avait un pelage doux et brun-gris, et était assez musclée. Elle me salua d'un regard amical et me proposa de marcher un peu dans les environs. Je la suivis avec joie, mais une petite voix qui n'était ni de l'instinct ni de l'intuition me souffla de me méfier de la louve. Je stoppai net, je n'avais jamais ressenti cette présence étrangère auparavant et cela me perturbait.

-Ca va ? demanda Émérite d'une voix artificiellement inquiète.

-Oui, ca va. 

Je devais me ressaisir, un comportement douteux pourrait me faire exiler de la Meute facilement. Déjà qu'on ne m'appréciait pas...  Retourne vers les autres loups. Encore cette présence autoritaire. Je jetai un coup d'œil vers Émérite. La louve trottinait tranquillement, le regard confiant et vif. Mais le frémissement de ses oreilles indiquait qu'elle était nerveuse. Rentre à la Meute, m'indiqua une fois de  plus la voix, étrangement mélodieuse. Tout de suite. C'est dangereux. 

Je décidai de reprendre le contrôle et d'agir intelligemment au lieu d'écouter cette voix soyeuse, et intimai à Emerite de rentrer. Nous étions déjà à une bonne distance de la Meute, et mon pouls s'accélérait, me prouvant un danger bien réel. Pendant que l'on reprenait le chemin du retour, je sentis ma compagne tendue, et je courais maintenant très vite, avec elle à mes côtés.

Soudain, la louve brune fit volte-face et me bondit dessus. "Quelle idiote je suis ! Je n'avais pas fait le lien entre elle et le danger !" Je me débattis avec rage, mordant sauvagement Emerite. Mais sa taille et sa force me plaquaient au sol et j'étais impuissante. 

Ne bouge pas. Je ne peux pas bouger, crétine de voix ! Effrayée, je fixais Emerite. Ma plus grande amie, à qui j'avais fait confiance, m'avait piégée...

-Emerite ! Dégage ! Hurlais-je en me débattant comme une folle.

Mais évidemment, elle n'en fit rien. Elle me regardait férocement, mais avec une fine lueur de tristesse et de doute qui appartenait à mon ancienne amie. Malheureusement cette dernière disparut bien vite, et la louve me mordit au cou. Je glapissais de douleur en sentant ses crocs se planter dans ma chair.

La vision du chevreuil s'imposa aussitôt à moi. Lui aussi avait dû ressentir ça... Les loups mordaient le cou des proies pour les tuer sans douleur. Sans douleur, tu parles, pensai-je en m'évanouissant. Au-revoir, vie d'Omega.



Alpha et Omega [PaUsE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant