Un hiver, cinq mois, mille tensions

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        Cinq mois s'étaient écoulés. Lentement pour certains, foudroyants pour d'autres. L'hiver s'était emparé des terres des royaumes, détruisant les récoltes des retardataires, bloquant les vadrouilleurs dans les petits villages, empêchant les longs trajets à cheval. La neige avait formé une épaisse couche blanche sur le sol, traîtresse, dénonçant les moindres trajets en pointant du doigt les directions empruntées. Elle s'était étendue du Nord au Sud, exceptée à la Forêt des Elfes qui avait été épargnée des sévérités de l'hiver, rendant les royaumes blancs et froids. Les villages isolés avaient dû faire des provisions durant l'été pour tenir l'hiver sans culture, sans transport et avec peu de bétail. Chaque année, cette froide saison faisait des ravages. La nature imposait sa force à ceux dont elle tolérait la présence, leur rappelant qu'elle seule, était maîtresse suprême en ce monde. Les dragons, créatures de feu, avaient été affaiblis par ce froid et cette neige qui se logeait entre leurs écailles tranchantes et glacées. Ils avaient été obligés de se réfugier dans les grottes des Montagnes entourant la Vallée, tentant de conserver leur brûlante chaleur corporelle. Les plus petits et les plus fragiles en avaient été très affectés, et deux dragons avaient péris durant cette rude saison. C'était chaque année la même rengaine, mais chaque année, le peuple se disait près de la fin. Chaque année c'était la même chose, mais chaque année, la peur était plus grande. L'esprit collectif des combattants et le haut château qui les maintenaient au chaud avaient néanmoins raison de la dépression générale de l'hiver. La bonne humeur des hommes, la douceur des rares femmes, les durs entraînements... cette routine aurait pu les ennuyer, les faire plonger dans l'abîme des profondeurs glacées de l'hiver, mais ce n'était pas le cas. Cette routine maintenait leur moral, leur santé, leurs souvenirs et leur passé. Elle était leur force, leur raison de tenir bon, leur volonté de sortir de cet hiver et de voir à nouveau les beaux jours. Et malgré le Grand Combat, malgré l'absence de leurs trois dragonniers, malgré les recherches du coupable du sort lancé au plafond de la Salle d'Histoire qui s'étaient finalement arrêtées, les combattants avaient tenus bon. Une fois de plus. Comme chaque année. Oubliant le froid mordant, ils n'oubliaient cependant pas leur Haut-Dragonnier à qui ils avaient prêté serment, à qui ils étaient loyaux et dévoués. Mais ils avaient encore moins oublié leur désir le plus ardent : devenir un dragonnier. Chaque jour, chaque semaine passée, certains essayaient, souhaitant profiter de l'hiver et de la faiblesse des reptiles légendaires pour tenter d'en maîtriser un. L'infirmerie, malgré la fin des combats, ne s'était pas ennuyée et avait soigné de nombreux blessés, sauvant la vie des plus téméraires.

        Nàmo était proche de ses combattants qui logeaient au château ou dans les Montagnes. Il ne restait pas assis sur son trône, les bras croisés, à attendre que le temps passe. Non, il déambulait dans les couloirs, sans la moindre appréhension. Il était apprécié par une grosse majorité des combattants si ce n'était pas par la totalité, mais il avait néanmoins appris de ses erreurs, n'oubliant pas la trahison de Scar, et sortait toujours escorté de deux gardes. Cependant, cela ne l'empêchait pas d'aller au contact de ses combattants, s'entraînant même avec eux, allant parfois à la taverne, restant humble malgré son statut. En fin de journée, il retrouvait son magnifique dragon doré à l'intérieur d'une des nombreuses grottes, et ils s'envolaient parfois à la lumière du crépuscule, dessinant ainsi leurs ombres sur le tapis blanc qui avait recouvert la Vallée.

        Ambre, elle, avait été soulagée d'apprendre qu'Aïkida était saine et sauve, mais une autre inquiétude était venue obscurcir ses pensées. Jayse et ses amis étaient partis vers la Forêt des elfes, loin d'elle. La jeune femme craignait pour la vie de l'homme qu'elle aimait. Depuis leur première rencontre, des années auparavant, Jayse et elle s'étaient beaucoup appréciés l'un l'autre, plus encore lorsqu'Aïkida était arrivée au château. Et le départ de cette dernière les avait encore plus rapprochés, à tel point qu'à terme des cinq mois écoulés, son ventre s'était arrondi. Vingt-cinq ans, c'était l'âge moyen auquel les femmes mettaient au monde leur premier enfant, l'âge moyen auquel les jeunes adultes devenaient parents. Ambre était une femme heureuse, comblée par sa grossesse, mais également rongée par l'inquiétude. Elle ne voulait pas perdre Jayse. Elle ne voulait pas élever cet enfant seule, d'autant plus qu'elle n'avait pas eu l'occasion, ni la possibilité d'annoncer au combattant qu'il allait être père, la guerre civile éclatant dans le sud. Le couple avait su se faire discret, à tel point qu'Aïkida elle-même ignorait leur liaison. C'était un choix de leur part, ils n'aimaient pas se faire voir, préférant rester dans leur intimité. Mais bien évidemment, leur secret n'en était plus un depuis que son ventre s'était fait remarquer, et la jeune femme avait reçu de nombreuses félicitations. Nàmo lui-même lui avait fait apporter des fleurs et avait promis que leur enfant serait épanoui au château. Il avait également promis que cet heureux évènement serait fêté dignement, les naissances au château ayant été rares ces dernières années. La jeune femme avait à maintes reprises demander à Nàmo d'envoyer une missive à Jayse pour le mettre au courant, mais à chaque fois, le Haut-Dragonnier lui avait répondu, navré, qu'il était impossible de connaître la position exacte des troupes, et qu'il ne voulait pas envoyer un autre homme au milieu de batailles dont il ne connaissait plus l'avancement. Ambre devrait patienter que les tensions s'apaisent. Alors elle attendrait, anxieuse, angoissée, et impatiente.

La Fille Gelée et la Face CachéeWhere stories live. Discover now