Le Pandemonium

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Monstre d'horreur et de démesure, le Pandemonium se dresse, joyau au creux du volcan. Ses proportions défient tellement l'imagination qu'il ne peut être sorti de la main de l'homme, mais bien de la main du Diable en personne. Le palais de Satan... Même depuis le point de vue élevé de la route, il est impossible d'en apercevoir le sommet. Ce mélange sans la moindre cohérence d'arches, de colonnades et de reliefs entrelacés, où des milliers de protagonistes de marbre se défient de leurs regards aveugles, tout droit sortis du rêve d'un architecte fou...

Les colonnes aux chapiteaux sculptés côtoient les coupoles couvertes de faïences multicolores, les rosaces ouvragées en équilibre entre la lumière et le vide, une accumulation de formes d'art et de civilisations accouplées jusqu'à la folie... Des silhouettes bizarres et grotesques se combattent dans une surenchère de musculatures indistinctes. Des milliers de fleurs piégées dans la pierre cascadent sur des pyramides de niches dentelées. Les ornements s'additionnent tellement qu'ils en deviennent illisibles, brouillés dans la mêlée. L'impensable se confond dans un étalage à couper le souffle, une perfection d'exécution, un concert de voix conjuguées pour assourdir les sens.

Jaugés par ces balcons imaginaires qui ne donnent sur rien, les damnés affluent le long des voies enflammées, gagnés par un sentiment de magnificence et de crainte qui fait trembler leurs cœurs au moins autant que leurs corps. Ils s'engouffrent dans la gueule béante de l'Enfer et n'en ressortent plus.

Les légions infernales sont là pour les accueillir : infinies, terribles, silhouettes indistinctes drapées dans leur uniforme de sang. Ils se réunissent dans une immense salle ronde qui s'élève en spirale. La perspective emporte les étages, tel l'élan formidable d'un monstre surgi du sol pour happer la lumière au loin. L'atmosphère les écrase, les presse d'un intolérable sentiment de puissance, de vitesse et de mouvement. Rien qu'à lever les yeux vers le sommet, leur conscience se trouve aspirée par cette architecture en révolution, constamment changeante sous les effets de la dynamique. Ils sont pris de vertige, et alors, enfin, ils l'aperçoivent.

Assis sur un trône de lave noire, entouré des armées qui proclament son nom... Satan. Le Diable en personne, l'ange déchu qui murmure au cœur des hommes...

Il préside au vice et à la folie, aux remords et aux cendres, aux fantômes, à la souffrance et aux poisons qui séduisent, détruisent, mordent la faiblesse de l'âme. Il gouverne sur cette terre stérile de feu et de larmes, ce palais des hurlements où les morts se débattent sans fin, ces ténèbres qu'il répand, embrasse, propage...

Les damnées affluent devant Satan, ils s'agenouillent, implorent sa clémence. A ceux qui trouvent grâce à ses yeux, le Diable remet la marque de sa légion. Aux autres...

Une éternité d'obscur, et le Néant. 

Contes MacabresWhere stories live. Discover now