A mon grand-père

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Au milieu de mes nouvelles de Noël 2018, voici une nouvelle un peu particulière. Elle n'était pas prévue. Je l'ai écrite pour rendre hommage à mon grand-père, Jean-Claude Mettetal, qui s'est éteint mercredi dernier, le 12 décembre, alors que ma maman et moi étions à son chevet. Je lui avais promis lors de cette ultime journée de lui écrire à lui aussi une nouvelle pour Noël. C'est ce que j'ai fait, en rédigeant le discours que j'ai prononcé pour lui lors de ses funérailles ce matin, samedi 15 décembre. Je partage avec vous ces mots dans lesquels j'ai mis tout mon coeur, tout mon amour et toute ma peine. J'entretiens ainsi l'espoir illusoire qu'une petite part de lui survivra à jamais grâce à la magie d'Internet. Merci à tous mes amis qui ont su être là pour ma famille et moi. Nous sommes infiniment touchés par votre soutien.   

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Mesdames et Messieurs,

Je prends la parole au nom de toute ma famille pour vous remercier d'être venus rendre un dernier hommage à mon grand-père, Jean-Claude.

Il est né le 15 juin 1945 à Pozzuoli, en Italie. Il était l'aîné de huit enfants, six frères et une sœur. Le 11 juin 1966, il s'est uni pour la vie à ma grand-mère, Josette Folny, avec qui il a vécu cinquante-deux longues et belles années de bonheur. De leur amour sont nés trois enfants : Christophe, Marie-Laure et Christelle, ainsi que quatre petits-enfants : Jessyka, Alexandre, Lucy, et moi-même.

Il exerçait le métier d'informaticien. Mais il s'est surtout illustré, tout au long de sa vie, par sa très grande implication au sein de la ville de Guénange. La plupart d'entre vous l'ont connu grâce au club de pêche, au club de boxe, au club de football, au club de pétanque, à la loterie, au comité des fêtes et au comité des sports dont il faisait partie, autant d'évènements et de célébrations que mon grand-père organisait chaque année avec le même enthousiasme, le même désir de bien faire, de satisfaire le plus grand nombre, d'apporter un peu de vie et de joie à sa ville, et à ses habitants qu'il affectionnait.

Mon grand-père était aimé et connu de tous, vous en êtes la preuve vivante aujourd'hui. Chacun d'entre vous possède sans aucun doute son lot de souvenirs avec lui, autant de petits fragments de son existence qui lui survivront en vous, grâce à vous. Je suis sûre que vous avez tous à l'esprit sa bonne humeur, sa légèreté, sa générosité, son légendaire sens de l'humour qui ne lui a jamais fait défaut, même lorsque la vieillesse a commencé à se faire sentir. Mon grand-père était un homme sur lequel on pouvait compter. Un époux aimant, un modèle et un repère pour ses enfants, un ami toujours prêt à aider les autres et à donner de son temps. Mais je ne peux parler pour vous du vécu que vous avez partagé avec lui. Je ne peux me mettre à votre place et décrire l'homme qu'il représentait pour vous. Je peux seulement vous partager aujourd'hui ce qu'il représentait pour moi.

A mes yeux, mon grand-père était une source inépuisable d'amour et de bonne humeur. Il s'est occupé de moi à ma naissance, et il a toujours aimé me répéter, lorsque j'avais grandi, qu'à l'époque, je tenais dans la seule paume de sa main.

Avec lui, j'ai fait les quatre-cents coups. C'était un grand-père farceur, toujours prêt à défaire l'éducation que mes parents tentaient vainement de me donner. Il était mon complice lorsque nous volions des crêpes à ma grand-mère dans la cuisine, avant d'accuser le chien de les avoir mangées. Il me racontait des histoires paillardes que je m'empressais d'aller répéter fièrement dans la cour de récré à mes petits camarades. Il m'a appris à jouer au poker avant même que je ne finisse le primaire. Il insultait les chauffards en voiture, il me laissait toujours boire sa mousse de bière lorsque nous allions boire un petit coup tous les deux après les courses, et il piratait même des films sur Internet, jusqu'à ce que la lettre d'Hadopi finisse par arriver.

Lorsque j'étais auprès de lui, je me sentais aimée. Il avait toujours ce réflexe de m'attraper la main lorsque je passais près de lui pour que je vienne l'embrasser, et il l'a eu, jusqu'à la toute fin, mercredi dernier, avant de nous quitter. Avec lui, je me sentais jolie, intelligente et talentueuse. Tout Guénange était toujours au courant de mes bulletins de notes, de mes études, ou des romans que j'écrivais. Il me faisait me sentir meilleure que je ne l'étais, et il me donnait envie de le devenir. Mon grand-père incarnait pour moi quelque chose d'à la fois rare et terriblement précieux : un amour inconditionnel. Et qui va affreusement me manquer.

J'admirais son attachement et sa dévotion envers ma grand-mère. Même après plus de cinquante ans de mariage, ils étaient le genre de couple qui se tenait toujours par la main à la moindre occasion, qui s'embrassait et s'adressait des mots tendres, qui prenait soin l'un de l'autre dans les moments les plus difficiles. Ils représentaient cet amour idéal auquel nous aspirons tous, et dont, je l'espère, je saurai m'inspirer.

J'admirais ses qualités de peintre. Sa passion pour ses enfants et ses petits-enfants, qui le poussait toujours à s'intéresser à tout ce que nous faisions. Il ne refusait jamais de jouer avec nous. Il faisait toujours tout pour que nous soyons heureux. Avec lui, nous étions toujours couverts de bonbons, de glaces et de cadeaux. Nous sommes allés tant de fois au zoo d'Amnéville, à la piscine et au cinéma que je n'en tiens même plus le compte. Chaque été, je venais passer un mois complet de vacances chez mes grands-parents, et j'attendais cet instant toute l'année. Leur maison à Guénange représentait pour moi un paradis où tout n'était que joie, où tout était permis, possible.

Voilà tout ce qu'incarnait mon grand-père pour moi. Je ne pourrai plus jamais manger une pêche sans songer aux frissons que le contact de leur peau duveteuse lui provoquait. Je ne pourrai plus jamais jouer au Scrabble sans penser à nos parties endiablées du mercredi après-midi, et à sa voix si familière pestant contre son mauvais tirage. Je ne pourrai plus jamais écouter Eddie Mitchell sans songer à cette dernière après-midi que nous avons passée ensemble, ma maman et moi, à son chevet, pour ses derniers instants.

Tous les souvenirs que je viens d'évoquer ici devant vous, nous les lui avons fait partager mercredi dernier. Nous nous sommes rappelés ensemble de tous ces merveilleux moments qui cimentaient nos vies. Nous l'avons vu sourire, ses mains dans les nôtres, serein et heureux. Il me semblait important de vous le dire à tous : jusqu'à la fin, mon grand-père sera resté un homme courageux, sans la moindre crainte, et il a quitté cette vie paisiblement, comblé, alors que nous étions à ses côtés.

Je pourrais probablement continuer à vous parler de lui pendant des heures. Il mériterait que je le fasse. Mais je préfère vous laisser à tous ces souvenirs, et au recueillement que vous trouverez au fond de votre cœur. Nous avons choisi spécialement cette photo parce qu'elle vous offrait une dernière vision de sa malice. Elle a été prise alors que ma maman et lui se prenaient en photo mutuellement, lors d'une de ses plaisanteries habituelles. Vous aurez ainsi l'impression qu'il est ici avec nous, à nous faire une de ses blagues, à vous sourire, en train de vous regarder et de vous prendre en photo de là où il est.

Je conclurai en citant des mots meilleurs que les miens, des mots qui à mon sens résument à la perfection qui était mon grand-père et comment il a vécu.

Il s'agit d'un extrait d'un poème de Lord Tennyson, intitulé « Ulysse » :

« Allons mes frères, partons en quête d'un nouveau monde. J'ai pris pour but l'horizon de la mer du couchant. Et quoique dépossédés de l'ardeur de nos forces d'antan qui bousculaient le ciel et la terre, nous sommes ce que nous sommes. Oui, l'âme trempée, et le cœur héroïque. Bien affaiblis hélas par les ans, mais forts de la volonté de combattre. Chercher, trouver. Et ne rien céder. »

Merci à tous. 

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