Contes Macabres

Le Saint Empire Romain Germanique

Dans le cadre de mes nouvelles de Noël 2018, mon amie Sarah m'a demandé d'imaginer une nouvelle où Charles Quint découvre notre époque...

Enjoy ;D

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- Votre Altesse Impériale, salue l'ambassadeur lorsque Charles Quint entre dans la pièce. Merci de vous être montré aussi ponctuel. Je vous en prie, asseyez-vous.

Regardant autour de lui, Charles choisit l'un des confortables fauteuils rembourrés disposés près de la cheminée. C'est là l'un des avantages de l'au-delà, a-t-il rapidement découvert : tout y est toujours confortable. Il n'a qu'à demander : le décor et l'ameublement se plient à ses moindres désirs, et même l'ambassadeur qui le reçoit aujourd'hui porte les soieries délicates si chères à son époque.

- Alors, reprend l'ambassadeur en feuilletant brièvement les documents posés devant lui. Vous avez exprimé le désir de vous réincarner dans une nouvelle vie, c'est bien cela ?

- En effet, acquiesce l'empereur du Saint-Empire romain germanique. Nous y avons longuement réfléchi, mon épouse Isabelle et moi, et nous pensons que nous sommes prêts. Après presque cinq siècles de flâneries parmi vous, nous pensons que cela pourrait mettre, disons... un peu de piquant dans notre couple, de nous réincarner et de tomber à nouveau amoureux l'un de l'autre, dans une nouvelle existence...

- Très romantique, acquiesce l'ambassadeur avec un sourire poli. Alors, voici les formulaires de procédure standard. Il est cependant de mon devoir de vous informer de deux ou trois choses avant que vous ne vous lanciez pour de bon dans l'aventure.

- Je vous écoute.

- Eh bien, vous vous en doutez, en cinq siècles, les choses ont passablement... changé, dans la société que vous avez connue.

- Oh oui, je m'en doute bien. Isabelle et moi y avons pensé, ne vous en faites pas. J'espère bien que mes sujets ont fini par trouver une solution contre les problèmes dentaires, et qu'il ne faut plus trois mois de cheval pour traverser l'Europe.

- Eh bien, de ce point de vue-là, effectivement, on peut dire que les choses se sont améliorées... Mais d'autres changements risquent de vous déboussoler un peu plus.

- Les protestants ont gagné ?

- Je vous demande pardon ?

- Est-ce que ce satané Henri II et ses descendants ont fini par prendre le dessus sur le Saint Empire romain germanique ?

- Euh, la situation est...

- Par pitié, dites-moi que les Français n'ont pas pris la tête de l'Europe...

- Ils n'ont pas pris la tête de l'Europe. Enfin, ils l'ont fait, pendant un petit moment, mais c'est fini maintenant. Depuis au moins deux bons siècles.

Charles jette à l'ambassadeur un coup d'œil déconcerté. Ce dernier décide de ne pas commenter davantage :

- Tout ceci pour vous dire que vous ne devez pas vous attendre à retrouver le monde tel que vous l'avez quitté.

- Je m'en doute bien. Faites néanmoins ce que vous pouvez pour me rendre à peu près mon ancien statut, vous voulez bien ? Isabelle et moi ne sommes pas n'importe qui, après tout... Oh, je ne veux pas forcément reprendre mon trône, juste... Une petite place dans la famille royale, où je pourrais observer les autres se débrouiller de loin, en profitant des festins, pour une fois, vous voyez... ?

- C'est que, il n'y a plus de famille royale.

- Je vous demande pardon ?

- Il n'y a plus de famille royale. Ni en Allemagne, ni en France en tout cas. Il en reste encore une en Espagne et aux Pays-Bas, mais elle est plus symbolique qu'autre chose...

- Mais qui dirige, alors ?

- Des représentants du peuple, élus par le peuple.

- Des plébéiens ? Des plébéiens à la tête du Saint-Empire romain germanique ?

- Il n'y a plus de Saint-Empire romain germanique.

- Non... Vous mentez ! C'est impossible ! Vous me tuez !

- Techniquement, vous êtes déjà mort...

- Le Saint-Empire romain germanique était le plus grand empire que le monde ait jamais...

- Je sais, je sais. Je sors d'une entrevue avec Jules César, croyez-moi, je sais ce que vous éprouvez. D'où la nécessité de vous mettre en garde.

- Je crois qu'il est d'autant plus nécessaire que je revienne... Isabelle ne sera pas contente, ce ne sera pas une petite vie en amoureux, mais... La situation est critique ! Il faut absolument rétablir le Saint-Empire, et la chrétienté !

- Mais tout le monde s'en contrefout, du Saint-Empire, répond l'ambassadeur en lui pressant la main avec un petit sourire apaisant. Je vous assure. Vous feriez bien mieux de profiter de votre repos mérité ici, avec nous.

- Tout le monde s'en... s'en contrefout... ?

Eperdu, Charles sent soudain ses forces lui échapper. Il tente de se remettre debout, mais il est soudain pris de vertiges, plongé dans la plus profonde affliction. Face à lui, l'ambassadeur le regarde d'un air vaguement blasé :

- Jacqueline ? appelle-t-il en convoquant sa secrétaire. Emmenez son Altesse Impériale avec l'Imperator Jules, vous voulez bien ? Oui, j'ai bien peur d'en avoir désorienté un autre... Désolé.

Et ainsi, après quelques jours de thérapie, l'empereur Charles Quint décide, en fin de compte, de rester au paradis, pour au moins quelques décennies.