6. Ce goût doux-amer

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-       Je pars.

-       Je sais.

           Elle répond du tac au tac, vite – trop vite. Cette pièce – leur vie – ils la connaissent par cœur, ils la jouent à la perfection ; cette scène, ils l'ont imaginée tant de fois que désormais, elle a perdu toute réalité, elle s'est vidée de ses émotions. Les mots, ils les prononcent quand même – dans l'espoir, sans doute, qu'aujourd'hui ils auront du sens.

-       Tu ne me retiens pas ?

-       À quoi bon ?

           La vie file entre ses doigts, et elle a décidé de tout laisser tomber, même les faux-semblants – surtout les faux-semblants. De toute manière, avec ou sans elle, quelle importance ? Le destin suit son cours, elle n'a aucune emprise sur lui. Tout ce qu'elle peut faire, à cette heure, c'est décider, enfin, de se montrer honnête.

-       À quoi bon ? répète-elle. Tu m'abandonnes.

-       Non... Je ne t'abandonne pas. Tu sais –

          Et il parle, parle, de patriotisme, de République. Il dit qu'il veut être utile, que son devoir est là-bas, sur le front. Il parle de choses splendides, de justice, de liberté, de fraternité.

          Tout cela, il le dit, mais l'éclat de ses yeux s'en est allé. Les mots sont usés, rouillés, ils ont perdu tout sens mais il est trop tard pour renoncer.

          Ils le savent, en sont conscients, et un croisement de leurs regards les dévoile l'un à l'autre – dans leurs peurs, leur résignation, leur volonté toujours un peu présente, aussi.

          Alors les barrières tombent. Elle lâche un sanglot, il lui ouvre ses bras.

-       Je ne veux pas que tu partes, murmure-t-elle.

-       Je sais.

-       Tu ne changeras pas d'avis.

-        Non.

          Alors, elle soupire. Lourdement. C'est terminé. Elle a perdu la bataille – qu'elle n'avait, cependant, jamais espéré gagner. Mais elle a encore une dernière chose à dire.

-       Reviens-moi.

-       Toujours.

           Et il l'embrasse – pour lui faire oublier, ou peut-être au contraire pour lui laisser un souvenir. Ça n'a plus d'importance. Et elle sourit. L'absence est toujours plus douce avec l'espérance de retrouvailles.

           Un baiser encore. Un simple effleurement, une caresse.

Un goût de promesse.

Et il part.

Et d'un même cri nous tissons l'infiniWhere stories live. Discover now