14. Confusion

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Je suis anxieux, c'est plus fort que moi.
Il n'y a pourtant pas de raison - personne qui m'ait vu avec cette fille, personne qui ne sache qu'elle est - que je l'ai...
C'est brumeux. Tout est brumeux. J'ai dans la tête un bourdonnement étrange qui s'amplifie avec les minutes ; ça presse et ça gratte, ça titille et apostrophe et ça fait mal mais je sais que je le mérite. Je le sais. Je la regarde - non, je ne la regarde pas, je ne peux pas. Je m'imagine...
Elle a des cheveux blonds qui coulent en une cascade d'écume sur ses épaules. Elle a - elle avait - de très jolis cheveux. Très jolis. Je crois - c'est peut-être pour ça que je l'ai remarquée. Elle me tournait le dos, on ne voyait que ça. J'ai dû dire quelque chose, elle s'est retournée, elle m'a ri au nez - Imbécile, qu'elle a dit, à moins que ce soit abruti. Quoi, parce que j'accoste dans la rue une fille que je ne connais pas ? Parce que ma gueule ne lui revient pas ?
Elle riait. Elle avait des dents assez laides, jaunâtres, un peu écartées, ça faisait un contraste sur son visage pâle, c'était drôle, moins intimidant d'un coup, alors je n'ai plus eu peur et je l'ai saisie par ses jolis cheveux et -
Ça craque derrière moi, je me retourne, rien, l'allée est déserte.
Barre-toi abruti que je me dis, avant que du cadavre ne sorte une espèce d'ectoplasme dégueulasse, avant que quelqu'un ne vienne et ne me dénonce.
Mais c'est étrange, parce que j'ai beau ne pas la regarder - parce que j'ai beau ne pas pouvoir la regarder, elle continue de danser devant mes yeux, avec sa crinière bizarre et ses dents tordues et je veux lui dire, va t'acheter du putain de fil dentaire et fous-moi la paix et arrête de sourire, mais maintenant qu'elle est morte c'est trop tard, il est fixé sur son visage pas vrai ?
Je veux partir, mais...
Elle a vraiment des jolis cheveux, qui font comme de l'écume sur le pavé sale, et je ne peux pas laisser ce ruisseau mousser tout seul puis perdre ses lueurs au milieu d'une impasse sordide, ça ne se fait pas...
J'attends. La fin est proche, je le sens.
J'attends.

Et d'un même cri nous tissons l'infiniWhere stories live. Discover now