Partie 14

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Les pièces du puzzle commencèrent doucement à se rassembler.

C'était douloureux.

Louis n'était plus très sûr de vouloir en apprendre davantage mais les dés étaient jetés. Il était trop tard pour reculer.
Et comment on reconnait vraiment un Damné ? demanda le jeune chasseur à son oncle.
Par la marque de la damnation. Une croix noire gravée sur leur main avec le sang des prêtres de l'Ordre.
Louis releva la tête vers son oncle. Son regard se flouta. Son ventre se tordit de plus en plus.
Giles, dit-il en tremblant. Sais-tu comment s'appelait le frère de Liam ? Celui qu'on appelait le Tortionnaire, parvint-il à demander d'une voix étranglée.
Louis... pourquoi ?
Je t'en prie, dis-moi... Si tu le sais, dis-moi !
Il s'appelait Harold.
Louis ferma les yeux et sentit tout à coup la pièce virevolter autour de lui. Il avait l'impression de tomber alors que son corps resta figé, assis par terre. L'horreur lui glaça le sang. C'était bien pire que tout ce qu'il avait imaginé. Ça fit tilt dans sa tête et tout devint soudainement plus limpide.

Harry était en fait Harold, le Tortionnaire. Le demi-frère de William le Tyran. Les récits ne mentaient pas. Les Enfants d'Abel d'autrefois relataient les carnages commis par les Frères Sanguinaires qui avaient semé le chaos en Europe durant des siècles. William, le plus vieux, avait fait de son jeune frère un bourreau, un petit chien prêt à tout pour le satisfaire. Il était en admiration totale pour son grand frère jusqu'à cette nuit d'été 1807. Harry avait été damné, il y a 211 ans, ce qui correspondait justement au moment où Liam et son frère avaient été capturés par les Enfants d'Abel.

Louis avait compris : sa main cachée, les secrets.

Il se releva, le cœur battant à tout rompre. Poussé par une rage folle, il ouvrit le coffre de son oncle et sortit plusieurs pieux qu'il fourra à la va vite dans son sac.
Louis, qu'est-ce que tu fais ? s'inquiéta Giles.
J'ai des comptes à régler !
Louis, tu fais peut-être fausse route ! Mon grand....
Louis devait en avoir le cœur net. Il sortit du bureau, n'écoutant même plus Giles qui le suppliait de rester et traversa la librairie comme une furie devant les regards ébahis de tous les membre de l'ordre présent dans la pièce.
Je t'interdis de sortir tout seul, le rattrapa son oncle. Ils sont cachés partout et n'attendent qu'une chose, Louis, tu le sais. S'ils croient que tu essaies de déplacer la pierre, ils...
Liam n'est pas si bête, Giles, il sait que je ne prendrai jamais ce risque. Et je serai rentré avant la tombée de la nuit, promis.
Giles baissa la tête et abdiqua devant l'entêtement de son neveu. Il le connaissait, mieux que personne et il savait que cette colère latente qui sommeillait en lui venait de se réveiller.

Louis détala telle une tempête prête à tout casser sur son passage. Et il était trop tard pour l'arrêter. Il sauta dans son pick-up et fonça droit vers le cimetière.

Les rideaux de velours recouvraient encore chaque vitrail de l'église abandonnée. Louis fut pris d'un rire amer et ressentit des sueurs froides rien qu'au souvenir de tous les moments qu'il avait passé dans cette vieille bâtisse, avec lui. Il se demandait encore comment il n'avait pas compris ? Il était mort de peur à l'idée de l'affronter, ses mains moites le trahissaient mais sa soif de vérité était bien plus forte. Louis rentra avec fracas chez Harry, faisant claquer la vieille porte en bois contre les briques.

Harry sursauta au son du boucan, voyant tout à coup le jeune chasseur se ruer vers lui, fou de rage.
Montre-moi ta main ? aboya-t-il en agrippant violemment le vampire par le cou et le plaquant contre le mur.
Louis, c'est pas ce que tu crois, suffoqua Harry.
Montre-moi cette putain de main !
Son cri retentit dans toute la pièce. Ses mains serrèrent encore plus fort la gorge de son ancien amant dont l'air commença à manquer. Harry su que Louis avait compris et il n'osa pas répliquer. La colère qui émanait du chasseur traduisait en fait sa douleur et sa détresse. Le vampire ne pouvait pas mourir, du moins pas de cette façon, alors il laissa faire le jeune homme et accepta la souffrance que l'étranglement lui causait. Louis ne contrôlait plus rien. Ses nerfs lâchaient.
Montre-la-moi, insista ce dernier. Montre-la, montre-la, montre-la, répéta-t-il encore et encore, la voix se voilant.

Abattu, la prise de Louis autour du cou de son adversaire se fit moins violente, mais il ne lâchait pas. Son corps faiblissait à chaque seconde, il tremblait de peur, de colère, de tristesse. La mort dans l'âme, il se laissa tomber à genoux, emportant avec lui Harry qui le maintint par la taille. Louis gardait toujours ses mains autour de la gorge du vampire comme s'il s'accrochait à lui. Son instinct de chasseur lui ordonnait de serrer, mais son coeur et son âme étaient trop meurtris. Il n'en pouvait plus et aurait donné n'importe quoi pour échapper à cette souffrance. La tête baissée, Louis n'avait plus le courage de regarder l'homme qu'il aimait et détestait.
J'ai besoin de savoir, Harry, murmura-t-il la gorge nouée, les larmes menaçant d'arriver.

Il sentit tout à coup une main se poser délicatement sur la sienne et releva la tête. Louis retrouva le regard de son amant, doux, prévenant, humain. Ce vert tendre et envoutant qu'il aimait tant. Ses prunelles brillaient, éclairant cette bulle de noirceur dans laquelle Louis s'était enfoncé.

Harry ne pouvait plus reculer et fit ce que le jeune chasseur n'eut pas le courage de faire. De son autre main, il détacha minutieusement la bande blanche qui recouvrait son poing dévoilant la marque. Celle qu'il redoutait. Celle qu'il fuyait depuis plus de deux cents ans. Il la cachait au monde mais aussi pour lui-même. La simple vision de cette marque lui rappelait l'horreur des supplices. Mais elle était bien là. D'un noir ébène encore éclatant gravée sur sa main.

Une petite croix.

Rien d'impressionnant. Aucune fioriture. Juste deux bâtons parfaitement droits qui s'entremêlaient.

Et sa peau flétrie tout autour.

Blood MoonWhere stories live. Discover now