11 Décembre : L' étoile

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L'étoile écrit par cherokeeNY

Le jukebox joue une musique ancienne, reflet d'un ancien temps, relique d'un ancien succès, passé, vieux, sordide pour un 24 décembre

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Le jukebox joue une musique ancienne, reflet d'un ancien temps, relique d'un ancien succès, passé, vieux, sordide pour un 24 décembre.
Tout comme ce lieu d'ailleurs : sordide.
Qui sur cette terre a envie de se trouver en ce lieu la veille de Noël ? Personne.
Personne à part moi, car j'y travaille.
Je fais office de barman, serveur, caissier et accessoirement aide cuisinier dans ce "sordide" snack- bar/station-service au nord de Buffalo.
Buffalo : ville qui ressemble à un champ d'industries.
Après avoir voyagé d'Est en Ouest, j'ai retraversé d'Ouest en Est et j'ai atterri ici, près de la ville frontalière de Niagara, où le soir je peux rêver de refaire ma vie plus au Nord, chez nos cousins canadiens.
Je n'ai de maison nulle part. La preuve. Après avoir dû quitter Monaca, ma ville natale, j'ai eu beau traverser le pays deux fois de part en part, je ne me sens toujours chez moi nulle part.
Et si je passais de l'autre côté !
Mon EVA est validée... Je pourrais voir ce qu'il se passe. Le Rainbow Bridge pourrait me conduire au bonheur. Quelqu'un a bien chanté un jour "Somewhere over the rainbow, Blubirds fly..."
Et si je franchissais cette frontière et que justement je ne revenais plus ?
C'est ce que je souhaite, pourtant ça m'effraie. Je ne suis chez moi nulle part aux USA, mais le pays reste quand même ma maison.
Alors, je me contente de vadrouiller, et je suis posé ici depuis trois mois.
Barry, le patron des lieux, me loue également son meublé au-dessus de la station. Il s'agit d'un studio aussi sordide que son snack. J'y suis tranquille. Il m'exploite un peu car il m'a sous la main, mais que je fasse des heures supp ou que je m'ennuie à rêver de mieux, autant faire des heures supp.
Je regarde l'heure. Il est 19h00.
L'homme de la table 4 vient de finir son café alcoolisé par ses soins et s'apprête à rejoindre je ne sais qui.
A la pompe numéro 1, une famille s'est arrêtée faire le plein. Je sens le bonheur dans la mélodie de leurs rires et des enfants qui braillent.
A la pompe numéro 2, un couple s'embrasse depuis 10 minutes, se moquant bien de se les geler sur ce scooter, ou de la femme, derrière eux, klaxonnant pour qu'ils libèrent la place. Je la trouve aigrie. J'ai été un jour dans cette voiture familiale pleine d'amour.
J'ai été un jour sur ce scooter, insouciant d'amour.
Je ressemble maintenant, psychologiquement, à cette femme aigrie.
Je serai un jour cet homme, seul, qui noie son café avec de l'alcool.
L'amour... Je soupire.
L'amour maternel, l'amour paternel.
L'amour qui fait battre la chamade et place une grosse étoile devant les yeux et dans le ventre.
Je ne sais plus ce que c'est.
A 21 ans, je me sens vieux. Un vieux baroudeur sans attache.
Je ne suis qu'un gars qui a été jeté hors de chez lui à à peine 18 ans.

Je le savais. Même si j'aime ma famille, je la connaissais. Je savais qu'ils étaient tous coincés du cul, avec des idéaux arriérés. Je les savais imprévisibles, mais je ne me doutais pas que ce serait aussi extrême.
C'était pour cette raison que le plan, à la base, avait été de garder secret ma sexualité jusqu'à ce que je sois majeur, vacciné, et surtout indépendant.
Sauf que cet après-midi là Harry avait été trop sexy, affalé sur mon lit, mâchouillant son crayon en espérant que ça l'aiderait à résoudre son problème de maths.
Je lui ai sauté dessus pour mordiller ses lèvres. Sous ses éclats de rires mêlés à ses gémissements, j'ai perdu le contrôle et je lui ai fait l'amour, en plein après-midi, dans ma chambre, oubliant qu'il était 17 heures et que ma mère allait inévitablement rentrer.
Et inévitablement elle est rentrée.
Elle est même entrée dans ma chambre. On venait de se rhabiller, mais c'était flagrant.
Elle a gueulé.
Ce n'était pas de la colère. Plutôt de la stupeur, de l'indignation, de la... folie.
Alors j'ai gueulé aussi.
J'ai gueulé sur mon doux Harry. Je lui ai gueulé de "foutre le camp et vite", alors qu'il tentait d'attraper ma main pour m'apporter son soutien.
"Dégage Harry. Dégage".
Je ne l'ai pas hurlé parce que je ne voulais plus de lui, plus le voir. Non, Seigneur non. Je l'ai crié pour qu'il s'enfuit, n'ait pas à subir ça, n'assiste pas à la scène ni la honte que j'allais ressentir face aux futurs mots de ma mère et surtout aux futures probables insultes de mon père qui n'allait guère tarder à rentrer.
Je ne voulais pas qu'il assiste à ça. Je ne voulais pas que ça déborde sur lui. Il était trop pur et trop parfait pour que leur venin l'éclabousse aussi.
Et j'ai bien fait.
Harry est parti, mon père est arrivé cinq minutes plus tard. Ma mère a résumé la situation entre cris et larmes. Elle a expliqué le scandale que j'étais à être un homme aimant un autre homme.
En l'espace de cinq autres minutes, je n'ai plus été leur Louis.
J'étais devenu un espèce d'intrus qui n'était pas le gentil Louis. Leur Louis moulé dans tout ce qu'ils avaient tenté de faire de moi.
Mon père m'a sommé de disparaitre. J'ai lu la peine, la honte, le dégout, l'incompréhension, mais surtout le rejet, dans ses yeux.
Alors c'est que j'ai fait : j'ai disparu.
Je n'ai emporté que mon portefeuille posé à l'entrée. Je me souviens, il y avait 11 dollars dedans. J'ai voulu appeler des amis, mais j'avais trop d'orgueil. Et puis surtout, je n'avais pas pris la peine de récupérer mon téléphone resté en haut.
J'ai voulu passer voir Harry, mais j'avais trop honte du comportement que j'avais eu envers lui. Trop honte d'avoir été rejeté par ma famille. De toute manière, je ne pouvais pas squatter chez lui. Ses parents ne savaient pas non plus qu'il était gay.
Alors j'ai marché, j'ai survécu. J'ai fait des petits boulots. De ville en ville, je m' installais parfois plusieurs mois au même endroit.
Je me suis offert une voiture. Une bagnole que personne n'aurait l'idée de voler tellement elle ne ressemble à rien. Mais le moteur est solide, et au final elle est la seule chose qui m'appartient. Je la bricole. Je fais en sorte que elle aussi survive.
Et maintenant je suis à Buffalo. Depuis trois mois. Ça commence à faire long. Un record, même si j'y trouve un certain équilibre.

Let's wait for Christmas 🎄 CONCOURS (ouvert)Where stories live. Discover now