Prologue

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Elle était là, assise au pied du lit.

Elle attendait. Ne savait pas quoi. Elle n'avait rien d'autre à faire. Elle voulait sortir de cette pièce, mais c'était impossible. Elle le savait bien.

Elle était différente.

Différente des autres, différente tout court.

Lorsqu'on lui parlait, elle ne répondait pas. Elle avait de toutes petites oreilles. Elle entendait mal. Et vivait en silence, se noyait dans cette absence qui lui faisait du bien.

Parfois, les autres murmuraient son prénom. Ruth. Et ce mot lui écorchait les tympans, lui trouait la tête. Alors, pour ne pas l'effrayer, ils ne parlaient pas. Mais elle savait bien qu'ils avait du mal à se taire. Tous. Lorsque le médecin venait la voir, ils restaient assis, face à face, sans dire un mot, et elle pouvait lire dans le fond de ses yeux la terreur qu'elle lui inspirait.

Le silence. Quel mot étrange.

Le seul qui ne la fasse pas souffrir, car c'est un mot qui ne se prononce pas. Il s'écoute. Il se dit la bouche fermée. C'est doux, c'est calme. Mais ils ne l'entendent pas. Ne sont pas capable de l'écouter. Jusqu'à la fin.

Ruth savait écouter le silence, comme elle savait voir dans le noir. Les rideaux de la grande chambre blanche étaient toujours fermés. Pour la protéger. De l'extérieur. De la lumière.

Cette belle et vive lumière qui lui crevait les yeux.

Toujours par terre, au pied de ce lit défait, elle regardait l'obscurité suinter du plafond, et elle attendait. Encore.

Ruth attendait les hommes en blanc. Ce blanc de mort. Ce blanc qui l'écœurait. Ce blanc partout.

Les bras ballants, la tête penchée en avant, elle attendait. Toujours. L'ombre grouillait de monstres maladroits. Les hommes ne venaient pas, et elle, elle se demandait ce qu'elle faisait encore là.

Elle aurait dû partir loin. Elle aurait dû se lever et courir, ouvrir le rideau pour apprivoiser la lumière du jour, lui prendre la main et la suivre le long d'une rivière, à travers les prés et les forêts. Elle aurait dû crier, crier qu'elle était toujours là, égarée dans ce monde qui ne voulait plus d'elle. Elle aurait dû chanter, si fort, si bien, qu'elle aurait fait pleurer les saules et, pour les consoler, elle aurait dansé jusqu'à ce que des ailes lui poussent dans le dos.

Elle aurait dû se battre.

Mais Ruth ferma les yeux. Elle attendrait. Elle attendrait que le temps la consume. Qu'il s'arrête pour elle.

Ruth était malade. Malade de ce qu'ils appelaient la Rouille.

Baissant les yeux sur ses paumes humides d'obscurité, elle fixa l'épaisse tache brune qui peignait sa peau, la rongeait petit à petit. Ruth esquissa un sourire las.

Elle était malade, et ça les faisait bien rire, tous ces médecins qui se pressaient autour d'elle, la gardaient dans cette prison aseptisée. Elle était malade, et elle préférait en rire, elle aussi.

Peut-être que ces pantins désarticulés avaient raison. Peut-être qu'elle n'était qu'un animal, fait pour ramper au sol, pour se traîner à leurs pieds. Peut-être qu'elle n'était rien d'autre qu'un cobaye, un petit rat de laboratoire, laid et porteur d'atroces bactéries. Peut-être qu'elle n'était finalement qu'une série de chiffres sur une feuille de papier froissée, un cas parmi tant d'autres, un spécimen.

Un spécimen en voie d'extinction.

Ruth rit doucement. Elle était un monstre.

La peur suintait de tous les pores de sa peau putride. Ils craignaient ses yeux luisant dans le noir, ses dents jaunies, son haleine fétide, son sourire malade. Ils se méfiaient de ses réactions, du moindre de ses gestes. Comme si elle risquait de leur sauter à la gorge pour s'abreuver de leur sang, de leurs larmes et de leurs cris.

Ruth rit avec démence. Elle était la Peur.

Et, comme les Bêtes, elle ne versait pas de larmes. Les Bêtes ne peuvent pleurer. C'est par leurs cris que se déversent leurs douleurs, car il leur faut des yeux secs pour s'exprimer. Ruth ne savait pas pleurer. Mais elle connaissait le chagrin, l'amertume et la colère. Cette colère qui l'habitait depuis que la maladie s'était installée. Depuis qu'on l'avait enfermée dans cette pièce. Depuis que la Rouille lui avait volé son corps.

Depuis que la Bête, blottie dans un coin de sa tête, s'était réveillée.

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