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Noé plongea les mains dans ses poches, frigorifié.

L'aube se levait, s'extirpait de derrière les murs pour projeter son halo sur les façades endormies. Le port était désert. Seul le léger clapotis de l'eau résistait aux appels entêtant du silence. Installé sur la petite murette qui bordait le quai, Noé observait les filaments dorés qui miroitaient à la surface du fleuve. Ses bottes battaient la pierre humide. Il savourait le froid, loin des bûchers. Derrière lui, la Cité s'éveillait. Quelques ferries étaient arrivés cette nuit. Les dockers se préparaient déjà à reprendre leurs incessants aller-retours jusqu'aux entrepôts des commerçants. Les auberges se vidaient, déversaient dans les rues son armée de vagabonds. Et les cendres gonflaient le ciel, ternissant ses éclats orangés. Noé soupira, baissa les yeux et aperçu son reflet dans l'eau.

Qu'ont-ils fait de toi ?  songea-t-il, troublé.

De petits nuages de fumée s'échappait de ses lèvres gercées, tordue en une grimace amère. De profonds cernes mangeaient ses yeux, éclatés de sommeil. Il ne pouvait plus dormir. Pas sans ces cachets. La petite boîte métallique, vide, au fond de sa poche lui brûlait les doigts. Il n'avait rien mangé depuis deux jours. Sa peau blafarde, si fine, peinait à couvrir des veines violacées qui s'en allaient courir dans son cou, serpentaient tout autour de son œil mort. Il faisait peur à voir. Noé se pencha en avant. Une bouffée de colère le saisit à la gorge. Il passa une main sur sa joue. La morsure découpait sa chair en deux rangées de petites plaies rouge sang.

Elle l'avait mordu.

Et il avait honte. Noé serra les dents à se les briser. Du bout de sa botte, il fendit la surface de l'eau pour dissiper ce visage abject, le reflet d'un monstre aux plaies profondes, d'un oiseau triste et abîmé. Sa bêtise lui arracha un sourire dépité. Il s'était cru assez fort pour supporter. Il pensait avoir le courage, encore, de se regarder en face. Courbé au-dessus des eaux troubles du fleuve, il s'était trahis. Et il ne cessait de la revoir, elle, si fragile, mais tellement plus déterminée. Il sentait encore ses yeux d'orage agrippés aux siens, ses mains tirant ses cheveux. Ses crocs déchirant sa peau.

Il l'avait frappée. Plusieurs fois.

Noé retint son souffle. Il avait la nausée, mal au ventre, comme avant, quand il passait ses journées allongé, une aiguille dans le bras et la joue trempée de ces larmes brunes qui ruisselaient de son œil percé. Des larmes à l'odeur âcre, ce parfum d'eau croupie imprégné en lui, qui le réveillait la nuit, le tirait de ses cauchemars. Noé ferma les yeux. Il devait oublier, s'en libérer. Et comme à chaque fois qu'il sentait l'angoisse remuer, remonter, lui brûlant les entrailles pour l'immoler, il pensa à Delilah. Il essaya de retrouver l'éclat de son rire, ses sourires et la chaleur de ses yeux, leurs reflets dorés quand ils glissaient sur les pages de ces romans qu'elle dévorait. Mais le brun de ses iris se perdait dans la brume pluvieuse de ses yeux, à elle. Noé sourit, résigné.

Ruth serait son miracle.

Il le fallait. Et elle ferait tomber les murs. Sa rage le libérerait ou mettrait fin à son agonie. Qu'importe. La mort s'endormait déjà sur son épaule. Retenant un soupir las, Noé jeta un œil à sa montre. Il se leva et, s'arrachant aux dernières lumières de l'aube, s'engagea dans une ruelle. Les mains dans les poches, Noé erra, distrait, de quartier en quartier. Il avait fait le chemin tant de fois qu'il trouva l'auberge sans même la chercher.

Arrivé devant le Héron Rouge, Noé hésita, s'efforça de reprendre un air insolent avant d'entrer. Il prit une inspiration, fébrile, puis laissa ses doutes sur le pas de la porte. Une épaisse fumée flottait dans la salle, étouffante, déjà infestée d'habitués au dos courbé et aux regards torves. Le Corbin leur adressa une grimace écœurée. Il n'eut besoin que d'un rapide coup d'œil pour le trouver. Installé derrière une fenêtre, ses jambes croisées sous l'épais jupon d'une robe dentelée, Esaü sirotait son thé avec une moue soucieuse. Distrait, il jouait avec les boucles de sa perruque lorsque Noé tira la chaise en face de lui. Un sourire étira ses lèvres, peintes en noir. Du bout des doigts, il fit glisser devant lui une tasse de café pleine à ras-le-bord, et attendit que le Corbin en boive une gorgée pour remarquer, amusé :

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