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Noé leva les yeux vers l'enseigne métallique.

Ils l'avaient trouvée. Bien cachée à l'ombre d'une ruelle aux arcades irrégulières, la petite épicerie s'offrait une devanture de bois austère ornée de lierre fané. Les carreaux de l'unique fenêtre, que la poussière rendaient opaques, avaient perdu leurs couleurs. Une petite table s'endormait sous la gouttière fendue. À peine masquée par les effluves des brins de romarin coincés dans le bec de son masque, une odeur de moisissure flottait dans l'air. Noé plissa le nez. L'humidité des bas-fonds lui remuait le cœur. Un parfum de déjà-vu.

Cette chambre d'hôpital aux murs auréolés entre lesquels il s'était vu mourir.

Noé frissonna. Distrait, il froissa le petit papier sur lequel avait été inscrite l'adresse de l'échoppe et le jeta par-dessus son épaule. Il devait avancer. Oublier. Inspirant brièvement pour s'emplir de cette atmosphère pouacre, Noé fit un pas vers la porte et frappa. Trois coups, secs, sans équivoque. Derrière lui, Jézabel s'agita. L'impatiente.

Petit ogre avide de violence.

Tous la craignait. Noé n'avait jamais plus redouté les bas-quartiers depuis qu'elle marchait dans ses pas.

La porte ne s'ouvrait pas. Noé patienta encore. Il écouta le tintement régulier des gouttes d'eau croupie qui tombaient du toit jusque sur la table, le sifflement des courants d'air. Et frappa de nouveau.

Noé grimaça.

Agacé, le Corbin haussa les épaules et, s'écartant, laissa Jézabel, trépignante, s'avancer. La jeune femme se fendit d'un grand sourire et arracha la porte de son cadre. La jetant contre un pilier, elle afficha une moue déçue. Tout était trop facile pour Jézabel.

Noé tira le revolver de son holster.

À pas lents, il pénétra dans l'épicerie en désordre. L'obscurité qui régnait dans la pièce lui parue lumineuse derrière les verres rouges de son masque. Noé balaya du regard les étales, planches de bois sur deux tréteaux aux pieds rongés, où s'entassaient tout un tas de cagettes remplies de grains. Du blé. Noé perçut un souffle dans son dos. Il sourit.

Trouvé, songea-t-il, amusé.

Recroquevillé dans l'ombre d'un bureau de caisse, un homme en tenue de vendeur le fixait, tétanisé. Blême, les mains jointes en une prière, il semblait ailleurs, comme s'il s'était échappé. Ou sombré au fond de lui-même.

Il se savait condamné. Mais Noé n'était pas Juge.

S'efforçant de rester impassible malgré la puanteur, le Corbin retira son masque. L'homme, que ce geste avait alerté, se redressa. Ses yeux s'agrandirent davantage lorsqu'il le reconnu. Une lumière inquiète fit tressauter ses pupilles. Noé haussa les sourcils. Et l'autre comprit. La culpabilité le fit douter, un instant. Puis il désigna le vieux tapis du menton.

— Ils sont en bas.

Évidemment. Noé hocha la tête. Le vague soulagement qui l'étreignit lui fit horreur. L'homme s'était montré raisonnable. Il ne pouvait s'empêcher de lui en être reconnaissant, malgré le peu de respect qu'il avait pour les traîtres. Il refusait d'avoir à tuer un innocent et, plus les jours s'égrenaient, moins il ne supportait le poids de son arme dans le creux de sa main.

Du bout de sa botte, Noé souleva le tapis de velours gonflé de poussière. Jézabel approcha et, saisissant le petit anneaux métallique fixé au plancher, tira sur la trappe. Le verrou sauta, la porte s'ouvrit sur un carré de ténèbres d'où émergeait une vieille échelle. Jézabel jeta une œillade intriguée à Noé, qui réprima un soupir. Le faire sortir d'ici ne serait pas une mince affaire. Et, alors qu'il agrippait les barreaux, Noé fut envahi par l'amertume.

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