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Delilah fixait le cadran de l'horloge.

Bientôt minuit. Et pas un bruit. Allongée sur le vieux divan, une couverture remontée jusque sous le menton, Delilah veillait. Les lumières de la ville se reflétaient sur les vitres encrassées, dessinant des ombres sur les murs décolorés du salon. Le métal glacé de son revolver engourdissait ses doigts, crispés sur la crosse. Elle avait peur. Comme chaque nuit depuis que la Rouille s'était glissée aux pieds de son lit.

Delilah frissonna.

Après leur discussion agitée, la chose s'était échappée pour se terrer dans un coin de la petite chambre. Delilah était restée, troublée, assise sur le carrelage glacé. Elle respirait. Mais la sensation de ses doigts décharnés pressés autour de son cou la hantait. De petites plaies marquaient sa peau. Des entailles, presque effacées, laissées par les fantômes qui habitaient Ruth. La Bête, avait-elle dit, s'était emparée de ses mains, de son corps. La Bête. Delilah l'avait aperçue, blottie derrière la façade de ses yeux.

Des yeux où gonflait l'orage.

Delilah sursauta. Trois coups frappés à la porte avaient déchiré le silence. Des sueurs froides perlèrent dans le bas de son dos. Tous les sens en alerte, la jeune femme jeta un regard inquiet vers les escaliers puis, le cœur battant, se leva. Sa main, agrippée à la crosse de son pistolet, se mit à trembler. Se glissant dans l'entrée, Delilah inspira profondément, entrouvrit le battant et, le doigt posé sur la détente, leva son arme.

Delilah plissa les yeux.

Deux silhouettes se dessinaient dans l'obscurité. Peu impressionnée, la première s'avança, les mains en l'air. Son visage, éclairé par l'éclat voilé des étoiles, se fendit d'un sourire. Le soulagement gonfla sa poitrine. Delilah baissa son revolver.

— J'ai cru que tu ne reviendrais pas, souffla-t-elle.

Noé l'embrassa sur la joue et, sans un mot, poussa la porte pour s'engouffrer à l'intérieur. Il traînait derrière lui une énorme valise. Appuyé sur ses vieilles béquilles, Jonas s'inclina maladroitement en passant devant la jeune femme, qui s'empressa de tourner les clefs dans la serrure. Les murmures inquiétants de la ville furent étouffés par la nuit.

— Où est-elle ? s'enquit Noé, lorsqu'elle les rejoignit au salon.

— Là-haut. Elle dort. Mieux vaut la laisser tranquille pour le moment.

Delilah s'efforça de paraître détendue, mais il saisit la rancœur qui colorait sa voix. Noé lui adressa une grimace compréhensive, chargée d'un soupçon de remords, mais ne releva pas. Puis, devançant Jonas, il attrapa la valise de cuir abîmé qu'il rangea sous la petite table basse, avant de balancer ses bottes dans l'entrée et de s'affaler sur le canapé, épuisé. Delilah leva les yeux au ciel, arrachant un sourire attendrit à Jonas.

Jonas et ses béquilles.

L'amertume lui colla la langue. Un vieux chagrin, jamais apaisé, lui noua le ventre tandis qu'il tombait entre les bras d'un fauteuil. Un soupir lui échappa, et Delilah s'en voulut de poser un regard écœuré sur ses prothèses d'acier. Deux bottes creuses. Elle se mordit l'intérieur de la joue, indécise, puis lança :

— Tu sais, tu peux les enlever.

Jonas rougit et lui jeta une œillade embarrassée, avant de se pencher pour défaire les puissantes agrafes qui scellait ses chaussures à ses rotules. Il les déposa avec précaution sur le tapis et s'empressa de s'asseoir en tailleur pour cacher ses deux moignons enrubannés, souvenir de sa dernière valse avec la mort. Delilah se détourna et croisa le regard sévère de Noé. Ses yeux suintaient de reproches. Elle le savait. Il détestait cette pitié, l'ombre d'une immuable culpabilité, qui froissait son visage lorsqu'elle pensait à ces jambes. Les jambes de Jonas.

OutbreakWhere stories live. Discover now