15

75 13 87
                                    

Samson se noyait.

Les vagues chantaient à son oreille, se déversaient en rouleaux dans un coin de son crâne. L'assommaient. Et ponctuaient l'inquiétant silence qui pesait sur lui, morceaux de plomb suspendus, figés avant l'impact. Samson flottait, savourait cette absence absolue de son, d'image. De vie. C'était comme disparaître, ne serait-ce qu'un instant, cesser d'exister. S'oublier. Il en avait rêvé. Mais les ombres troublaient la surface.

Samson fronça les sourcils.

Un souffle perça les remous de l'eau. Si léger, presque éteint, il chassait le vide, agitait l'écume qui perla sur ses joues. Samson respirait. Et les souvenirs refluaient, l'inondaient. Des visages défaits émergeaient, se tordaient, terrifiés par la symphonie des éclairs qui déchiraient l'obscurité. Les oiseaux dansaient sous l'orage. Samson tendit les bras pour les saisir, mais leurs plumes trempées de pluie lui glissaient entre les doigts, écorchaient sa peau, la couvraient de traînées noires. Du sang. Le sien. Samson leva les yeux. Le ciel voilé s'était fendu. Soufflé par une violente bourrasque, Samson bascula, plongea sous les vagues déchaînées.

Le déluge, déjà.

Samson se débattit, sa main creva la surface, mais les profondeurs le rappelaient. L'eau s'infiltrait partout, gonflait ses vêtements, saturait les pores de sa peau. Et l'air lui manquait. Les gouttes de pluie ricochaient de l'autre côté du miroir, troublant son reflet, de plus en plus flou. Trop loin. Samson sentit l'obscurité le happer, pour le recracher. Une main lui agrippa les cheveux, le ramena des abysses.

Samson écarquilla les yeux.

Il ouvrit la bouche, voulut crier. Un second sceau d'eau froide lui gicla au visage. Son sang ne fit qu'un tour. Il s'étouffa, toussa, voulut lever les mains. Un crampe lui tordit les entrailles. La douleur comprima ses poumons, lui coupa le souffle. Samson se pencha. Le sang, d'un brun sombre, se dilua dans l'eau. Un goût amer, presque métallique, lui colla la langue. Samson aperçu son reflet dans la flaque, opaque, qui se répandait sur le carrelage. D'un revers de la manche, il essuya ses lèvres, son menton. Il tremblait.

Samson eut un sourire triste.

— Ça ne s'arrange pas, hein ? lâcha-t-il.

— Vous n'avez plus beaucoup de temps.

Samson se redressa. Le Juge le toisait, impassible dans sa longue robe pourpre. Les mains dans ses manches, il se tenait debout, immobile dans l'étroite cellule. À l'ombre de son imposant masque de Corbin, son regard de charognard fouillait le sien, à l'affût. Samson ne connaissait ni son nom, ni son visage, mais savait qu'il baignait dans le pouvoir. L'Ordre des Corbins était dirigée par douze Juges, tous anonymes, aussi crains que vénérés. Ils avaient érigés les murs de la Cité. Ils conseillaient le Roi, le manipulaient, et régissaient le royaume depuis l'obscurité de leur Tour. Les Juges jouaient selon leurs propres règles. Et sa vie coulait au creux de leurs mains.

Samson eut un petit rire dépité.

Le Juge sortit de sous sa robe un étui de cuir, qu'il ouvrit sans un mot. Il saisit la seringue. Samson tendit le bras. Et, tandis que les doigts gantés du Corbin glissait sur sa peau pour trouver, dans le creux de son coude, une veine violacée à percer, Samson détourna les yeux. L'aiguille perça, se vida. Et il eut l'impression de sombrer, encore. Une légère migraine lui serra les tempes. Il retient un soupir, préférant écouter les bruissements, presque imperceptible, des gans de soie rangeant, effaçant les traces. Nul ne devait voir, savoir.

— La prochaine fois, reprit le Juge, n'attendez pas d'être à court pour venir nous voir.

— Et si je n'avais plus envie ?

OutbreakWhere stories live. Discover now