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Camille n'en peut plus.

Ce n'est pas qu'il n'aime pas l'ambiance, la joie qui éclate dans les rires, la hargne qui s'expose dans les slogans militants, les baisers qu'on fait enfin sans se cacher, les groupes d'amis qui exposent l'excentricité libérée, les paillettes, les couleurs, la musique qui résonne dans sa tête. Il ne sait plus où donner de la tête et du coeur. Ils n'ont pas marché : ils se sont contentés de rester sur le trottoir, non loin d'une entrée d'un parc, comme une sortie de secours. Ils ont voulu, mais Camille ne s'est pas senti bien, au soleil, à piétiner centimètres par centimètres du terrain, à la recherche d'air. Alors, ils se sont écartés et tant pis pour Zoé qui avait envie de danser : elle danse toujours, applaudit, crie les slogans qui passent, embrasse à tour de rôle Alceste et Camille, répand la joie et son sourire explose. C'est parce qu'elle sourit que Camille n'ose pas dire « Zoé, j'en peux plus, je sais que tu as besoin de la Pride, que c'est un événement essentiel, mais je souffre, j'ai chaud et ma tête va exploser ».

Camille sent des lèvres sur sa tempe : Alceste. Toujours à côté de lui, observant, comme lui, l'enthousiasme de Zoé et celle des autres inconnus.

« Encore quelques minutes et on va chez Juliette pour voir le match. Ça sera plus calme, lui chuchote le jeune homme à l'oreille. »

Camille hoche la tête.

Quelques minutes.

Il devrait tenir.

Il réajuste les bouchons d'oreille qui lui permettent de n'entendre que les basses de la musique assourdissante : il préfère nettement de percevoir que les sons dans son corps, comme les battements de son coeur ou sa respiration que la musique et les chants. Il voit Alceste sourire doucement, suite à son mouvement : maintenant, pour lui parler, il faudra lui faire signe d'en enlever un. Il a trouvé ses bouchons oranges par terre, encore emballées, comme un miracle, au moment où il se plaignait du bruit à Alceste : la symbolique est forte et lui a sauvé de l'angoisse crasse.

C'est le prix à payer pour éviter une crise d'angoisse au milieu des fiertés.

Et Zoé continue de vivre, alors sa peine s'adoucit : elle a toujours ce pouvoir incroyable d'apaiser ses peurs. Quand il voit le bonheur déformer son visage et les étoiles dans ses yeux, il se dit que ça vaut le coup. Peu importe si son corps transpire, s'il croit mourir de chaud, si ses mains tremblent dans celles d'Alceste, si ses yeux se brouillent face à trop d'information.

Zoé vaut le coup.

Quelques minutes après, comme promis par Alceste, Zoé arrête de danser. Quelques mots sont échangés entre eux et Camille devine qu'ils parlent de quitter la foule pour aller chez Juliette et de son propre état d'anxiété. Zoé revient vers eux et sa main moite enserre la sienne.

Ils en auront profiter, néanmoins, même sans marcher, même sans crier, même sans chanter. Rien qu'en étant là, présents, en prouvant qu'ils existent et qu'ils continueront d'exister.

Fendant la foule, ils rejoignent le parc, où d'autres ont fait comme eux : s'échapper. L'endroit est plus calme et Camille semble enfin pouvoir respirer normalement.

Camille regarde la foule derrière eux et les chars qui passent.

Il retirera ses bouchons d'oreille quand il sera certain de pouvoir supporter la vie.

Champions de leur monde.Место, где живут истории. Откройте их для себя