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Le Champagne lui tourne la tête.

Il sait que ce n'est pas raisonnable, qu'il n'aurait jamais dû boire autant, ou manger plus de petits fours pour les imbiber, pour ne pas ressentir les effets de façon aussi violente. Mais c'est trop maintenant et il tangue devant sa porte à la recherche de ses clefs, avant de se rappeler que Camille et Zoé sont là.

Il essaie de faire bonne mesure, mais rien n'échappe au regard acéré de Camille, habitué à le voir alcoolisé. Il l'embrasse plus rapidement que d'habitude, sans doute à cause de l'odeur de cigarette froide et de relents de champagne. Alceste ne s'en vexe pas : même lui n'aurait pas fait mieux. Il retire sa veste et ses chaussures et cherche Zoé du regard. Camille le tire par la manche pour l'emmener dans la chambre.

Zoé est là. Allongée dans le lit, le corps courbé et recouvert d'un unique drap.

« Zo, je suis rentré, chuchote Alceste. »

Zoé se redresse : elle a le visage chiffonné de ceux qui ont trop dormi, ou pas assez, mais assez mal pour que ça se lise aisément. Elle tente un petit sourire amical, qui n'a pas l'effet escompté. Le sourire est douloureux et elle ronchonne en se remettant sous le drap. Alceste échange un regard avec Camille : Camille aussi a l'air fatigué, sans doute parce qu'il a passé la journée à s'inquiéter pour leur copine. Silencieusement, il lui fait comprendre qu'il va essayer de s'en occuper, qu'il peut partir. Camille quitte la pièce et Alceste s'allonge doucement auprès de Zoé.

« C'était bien ? marmonne-t-elle. »

C'est une question de convenance : elle s'en moque de la réponse et n'a même pas la force d'écouter, mais Alceste s'en moque. Des questions de convenance, il en a eues tout l'après-midi, et avec l'hypocrisie, s'il vous plaît. Alors, il cale ses mains derrière la tête, espère que la position allongé ne va pas le faire vomir et répond :

« Génial. Ma mère ne m'a pas fait de remarque sur ma tenue ou sur ma coiffure et mon père ne m'a pas parlé de l'an prochain. Je m'estime heureux de n'avoir eu qu'Eléonore pour me donner l'impression d'être comme une merde au milieu des riches.

— C'est qui, déjà, Eléonore ?

— Une de mes cousines.

— T'en as des dizaines.

— C'est vrai, mais la pire, c'est Eléonore.

— C'est noté. Eléonore, on l'aime pas.

— C'est ça. On l'aime pas. »

Pendant un temps, on entend que les respirations, souvent douloureuses, comme si l'air avait du mal à passer dans les poumons des deux jeunes adultes et Zoé se retourne. Le drap forme autour de son corps une carapace, quelque chose de solide qu'on ne peut plus franchir. Alceste fait l'erreur grossière de vouloir l'imiter : en se tournant sur le côté, l'alcool palpite dans ses veines et jusqu'à son cerveau et il ne retient pas une grimace d'inconfort. Un signe de faiblesse qu'il ne se serait jamais permis ailleurs que dans l'enceinte de cette chambre.

« T'es bourré ?

— Totalement.

— La chance. »

Alceste sourit, même si Zoé ne peut pas le voir, elle qui a les yeux clos, soudés par la fatigue. Puis, dans leur torpeur, ils entendent la porte s'ouvrir et une petite voix timide qui leur demande :

« Je peux vous rejoindre ? »

Camille.

Alceste répond que oui, il peut, limite, il doit et il sent le corps de Camille allongé à côté de lui : il doit être dans un équilibre précaire entre le matelas et le sol.

« On doit faire peine à voir, dit Zoé.

— En effet, répondent les deux garçons, dans un même souffle.

— Tant pis. »

Le silence reprend ses droits dans la chambre. Plus personne n'ose bouger, plus personne n'ose rien dire. Ils vont ré-atterrir sur Terre après. Ils ne donnent l'occasion de planer dans les sphères, un peu.

Juste un peu.

Champions de leur monde.Where stories live. Discover now