Lundi 2 juillet, 11:47

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Camille pense à la paie quand il dit pour la énième fois « Vous avez la carte de fidélité ? » à une quarantenaire venu acheter de quoi manger le midi. Elle dit que non, tend sa carte bancaire pour lui signaler le moyen de paiement. Automatiquement, il tape sur l'écran, attend qu'elle compose son code, que le ticket de caisse soit imprimé pour dire « Merci, bonne journée, au revoir. »

La file est longue à sa caisse, parce que tous les travailleurs ont décidé de venir acheter un sandwich ici, parfois une bouteille de soda ou un paquet de biscuit. Lui, ça fait des heures qu'il encaisse des articles, à un rythme soutenu et le bip incessant commence à lui taper sur le système. Il n'y a pas d'habitude à prendre pour supporter les bruits mécaniques d'un super-marché, tout au plus il a établi des mécanismes de défense pour ne pas grimacer à chaque fois qu'il passe un article, pour paraître naturel dans ses phrases répétées à longueur de journée.

Du coin de l'oeil, il repère la collègue qui va le remplacer dans quelques minutes. Il lui adresse un sourire qu'elle remarque et lui rend : la journée est bientôt finie et Camille dit « vingt euros, cinquante sept centimes, s'il vous plaît. Par carte ? ».

Il a pris ce job pour payer le loyer de son appartement et pour calmer l'inquiétude de ses parents qui n'ont pas compris son désir de rester sur Paris l'été. Il ne leur a pas dit que c'était pour rester près d'Alceste et Zoé, il a utilisé le terme « ami » bien plus neutre. Son père lui a dit que, du moment qu'il pouvait payer le loyer, il s'en moquait. Alors, trente-cinq heures par semaine, Camille scanne des articles et répète les mêmes phrases aux clients.

Il est caissier cet été.

« Ma collègue va me remplacer, merci de patienter, dit-il à la prochaine cliente. »

Emma prend le relais : il récupère son caisson et file dans les vestiaires. Il range sa blouse, fait ce qu'il a à faire avant d'être libre.

Dans l'avenue Courcelles, la foule le surprend un peu. Bloqué dans les murs de sa grande enseigne, il a tendance à oublier que la vie suit son cours ailleurs. Il hésite sur le chemin à emprunter : va-t-il chez Alceste ou chez lui ? Il sait que Zoé a son babysitting en fin d'après-midi et qu'Alceste ne travaille pas aujourd'hui. Il ignore seulement où en est son besoin de solitude. Mécaniquement, il prend néanmoins le chemin de son appartement, situé à dix minutes de son lieu de travail.

Voilà plusieurs jours qu'il n'est pas rentré chez lui : il habite la plupart du temps chez Alceste, parce que c'est plus grand, parce que c'est plus simple, parce que ça lui demande moins d'effort d'être à plusieurs si jamais il fait une crise d'angoisse. Il ne sait même pas pourquoi il a gardé son appartement : sans doute pour éviter d'avouer à ses parents qu'il a emménagé avec son petit-ami et sa petite-amie. « Ah oui, au fait, j'ai deux amoureux, papa, maman, j'aurais dû vous prévenir. »

Non, ça ne fonctionnerait pas comme justification et Camille n'est pas doué pour le mensonge. Ironie du sort quand sa vie amoureuse est basée sur des non-dits.

Toujours mécaniquement, ses pensées suivant leurs cours, indépendamment de sa bonne volonté, il monte les sept étages de son immeuble. Au lieu d'ouvrir sa propre porte, il toque à celle des voisins.

Ça le prend comme ça. Comme une envie. Comme une pulsion.

Surtout, ne pas rejoindre sa solitude maintenant.

Champions de leur monde.Donde viven las historias. Descúbrelo ahora