Dimanche 1 juillet, 11:11

81 11 0
                                    

Camille s'est réveillé juste à temps pour voir Alceste sur le point de partir. Le jeune homme a mis une jolie chemise blanche avec un pantalon beige. Il met toujours cette tenue quand il va voir sa famille. Parfois, quand il s'autorise une frivolité, il choisit une chemise verte, ou un pantalon bordeaux. Ce sont les seuls écarts qu'il fait avec la tenue-pour-la-famille. Une tenue qui dit qu'il présente bien, qu'il est propre sur lui, qu'il n'y a rien dans sa vie qui n'est pas normé. Une tenue qui crie qu'il est un bon fils de famille, qu'il vient d'une bonne famille où rien ne dépasse, surtout pas les mœurs. Camille le trouve beau dans cette tenue, bien sûr. Il le trouve toujours beau, même en lendemain de soirée, quand il a la gueule de travers et des cernes prononcés. Mais il y a toujours quelque chose qui ne va pas. Il trouve que c'est un costume. Que ça ne lui correspond pas. Qu'il est bien mieux avec un jean et un T-shirt trop grand, comme il met quand il est avec eux. Ou dans un hoodie qu'il lui aurait piqué.

Il se lève pour l'embrasser en guise de bonjour. Alceste sent bon le parfum, il est rasé de près. Ses cheveux blonds sont ordonnés.

C'est comme une autre personne, à laquelle ils n'ont que peu accès. Lui, mais en différent.

« Bien dormi ? lui murmure Alceste. Il reste du café, si tu veux. »

Camille marmonne une réponse affirmative et va se servir un café qu'il fait réchauffer au micro-onde. En attendant, il regarde son copain enfiler une veste légère, dont il n'a pas besoin mais qui parfait sa tenue sophistiquée.

« Envoie un message quand tu rentres, pour que Zoé soit au courant, dit Camille, comme dans un éclair de génie. »

Il ne dit pas que c'est aussi pour lui, le message, pour le rassurer : il sait qu'Alceste comprend, que Zoé est seulement une bonne excuse pour qu'ils sachent. Alceste hoche la tête en souriant doucement.

« N'oublie pas de lui faire prendre ses médicaments du matin, si elle n'y pense pas. Elle a fait un épisode maniaque hier, il faut faire attention. »

Camille fronce les sourcils en récupérant sa tasse chaude : le réveil est difficile, surtout quand on lui annonce que sa petite-amie a fait une crise alors que lui, dormait, bienheureux et fatigué de la sociabilité. Il met le sucre et touille sans aucun bruit pour le diluer.

« Et ça s'est bien fini ? »

Dans ces cas-là, il ne sait jamais quoi dire : il ne peut pas demander si ça va, si tout s'est bien passé, parce que la manie suppose que Zoé n'allait pas bien, quand bien même elle l'a paru. Il n'y a pas de questions à poser, vraiment. Il y a juste à demander si ça ne s'est pas fini gravement, comme ça a pu se passer.

« Oui, elle a pris des médicaments. Elle va sans doute dormir encore un peu.

— Et la redescente ?

— J'espère que je serai là pour la gérer avec toi. Sinon, tu sais ce que tu dois faire. »

Oui, Camille sait. Alceste sait. Ils savent.

Ce n'est pas pour autant qu'ils sont à l'aise avec l'idée. Ils n'ont pas vraiment le choix et ne veulent pas l'avoir : dans tous les cas, ils seront là pour elle.

« Je vais partir, chaton. Passe une bonne journée et ne t'inquiète pas trop. »

Camille accueille le baiser d'Alceste avec un plaisir qu'il ne dissimule pas : Alceste a le goût d'ailleurs, d'un autre monde, dans lequel il n'a pas sa place, mais qui rayonne au fond de lui.

« Toi aussi. Et passe le bonjour à tes parents de notre part. »

Alceste éclate d'un rire, vite éteint pour ne pas déranger Zoé qui dort encore paisiblement – qu'elle en profite. Sur un dernier bisou rapide, il prend son sac et Camille ferme derrière lui.

Il ne reste que Zoé, en chien-de-fusil dans son lit, et son café qui va tenter de le réveiller.

Champions de leur monde.Where stories live. Discover now