Le shôgi

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Jusqu'à ses trois ans, peu d'évènements marquèrent réellement la vie d'Hitopmi. Elle passait beaucoup de temps avec sa mère, mais aussi avec le clan de feu son père. Shikaku Nara avait un bébé tout juste né et débarquait souvent au milieu de la nuit, complètement paniqué, pour demander conseil à Kurenai et rapporter la bonne parole à sa femme. C'était drôle, de le voir comme ça, avec sa queue de cheval à moitié défaite et la lueur un peu fébrile dans son regard, mais Hitomi veillait à ne pas se moquer de lui.

Il était son oncle préféré, après tout, et pas seulement parce que son plan pour contrecarrer Danzô nécessitait qu'elle soit proche de lui. Il était un homme gentil, paisible, loin de fainéanter autant qu'on le prétendait. Il était doté d'une terrible intelligence, aussi, et c'était lui qui avait compris qu'Hitomi était en avance sur son âge. Quand Yoshino gardait la petite pour Kurenai, elle lui donnait des cours de vocabulaire plus complexes que ce que les bambins de trois ans apprenaient. Hitomi, elle, s'en délectait.

Depuis qu'elle pouvait parler et marcher, même si les deux étaient encore maladroits, un poids s'était levé de ses épaules. Elle se sentait à la fois plus libre et plus en sécurité. Elle n'avait encore rien appris qui lui serait frontalement utile pour ses différentes machinations, mais elle recueillait précieusement chaque information, sans en dénigrer aucune. On ne savait jamais, après tout, elle pourrait leur trouver une utilité.

Le lendemain de ses trois ans, Kurenai leva Hitomi bien plus tôt qu'elle n'en avait l'habitude. Elle était vêtue d'une tenue d'exercice bleu foncé qui lui collait au corps et que la petite fille ne lui avait jamais vue. Quand sa mère commença à l'aider à enfiler une tenue semblable, elle haussa les sourcils et attendit que la kunoichi réponde à la question tacite.

— Il y a une grande différence entre les enfants issus d'un clan et ceux qui viennent d'une lignée de civils. Tu la connais ?

— Les enfants des clans, répondit la petite, ont droit à un entraînement bien avant d'entrer à l'Académie, alors que les civils, eux, partent de zéro en commençant les cours.

— Exactement. Comme tu le sais, tu fais partie de deux clans : le clan Nara, celui de ton père et de ton oncle, et le clan Yûhi, dont ton grand-père et moi sommes les derniers représentants en vie... Avec toi, bien entendu.

— Oh... Donc on commence l'entraînement ?

— C'est ça !

Enthousiaste, Hitomi aida sa mère à finir de l'habiller et se tint sagement immobile alors que les longues mains habiles rassemblaient ses cheveux dans la queue de cheval traditionnelle des Nara. Enfin, traditionnelle... Ses cheveux étaient désormais assez longs pour ne plus tenir dressés sur son crâne, mais commencer à retomber vers ses épaules. Dans son attirail sombre, elle ressemblait à l'idée qu'on se faisait des ninjas dans le Monde d'Avant. En miniature, mais tout de même.

Obéissante, la petite fille suivit Kurenai, qui sortit de la maison et s'installa au milieu de leur jardin, campée fièrement sur ses deux pieds. C'était le début du mois de novembre, mais le temps était clément à Konoha : on n'y avait pas vu de neige depuis plus de dix ans, d'après les discussions qu'Hitomi avait entendues entre sa mère et les différents ninjas venus lui rendre visite ces trois dernières années. Ces visites étaient vraiment précieuses pour l'enfant, qui s'en servait pour remplir l'étage de sa Bibliothèque consacré à son nouveau monde.

— Bon, commençons. Positionne-toi comme moi, les pieds écartés à la largeur de ton bassin, le dos bien droit, les bras le long du corps.

Aussitôt, Hitomi obéit. Cette position lui était familière : en théâtre, il s'agissait de la « position de départ » à partir de laquelle on construisait l'attitude d'un personnage. Elle savait qu'ici, ce ne serait pas le cas, et réalisa tout de suite que si son cerveau se souvenait très bien de la pose à prendre, la mémoire de ses muscles était encore pratiquement vierge. Elle dut s'y reprendre à trois fois pour écarter juste assez les pieds et cesser de tenter d'occuper ses mains.

Quelque chose s'achève, quelque chose commenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant