Chapitre 4 : Fuyons

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Le silence, pesant, effrayant remplit la pièce. Je tombe à genoux, dévasté, fixant le vide. Le teint pâle de mes parents ne laisse pas de place au doute, ils ne font plus partie de ce monde. Stella replonge le visage dans les draps et hurle. Son cri strident ne me dérange même pas. Mon cœur s'est arrêté avec une douleur si puissante que je ne serais pas surpris que ma poitrine éclate. Mon souffle forme une boule de souffrance dans ma gorge, j'ai mal et pourtant je ne parviens pas à pleurer, comme si mon être trop heurté se refusait à évacuer la peine par les larmes. Je ne vis plus. Je ne suis plus.

« Je ne crois plus ce que je vois. Je suis en plein cauchemar de toute façon. Ma sœur ne pleure pas. Je ne suis pas là. Mes parents ne sont pas morts. Non, c'est impossible. »

J'ai beau me répéter ces phrases comme une litanie, le désespoir demeure, ravageant mon âme et mon cœur, tellement puissant que je suis obligé de mobiliser toute ma force et ma volonté pour parvenir à me relever. Les jambes flageolantes, je m'approche du lit, tout doucement. Ma vision est brouillée à cause de mes larmes qui coulent enfin. Je m'essuie les yeux avec ma manche, tentant de ne pas me noyer dans la détresse. Je grimpe lentement sur le lit et prends ma sœur par l'épaule. Je tente de l'éloigner des cadavres mais elle refuse. J'insiste, elle se met à hurler :

- « Non ! Non ! » tout en me frappant.

Brisé au plus profond de moi-même, j'abandonne. Je retombe lourdement sur les draps. Je crois que c'est la première fois que je ressens ce genre de sentiment. Vous savez ce vide dans la poitrine, l'impression que votre cœur est en miettes ou qu'il n'existe même plus. La sensation que votre âme s'en est allée, que vous n'êtes plus qu'une enveloppe vide, seule et abandonnée. Ce sentiment auquel succède une horrible impression de déchirement, d'écartèlement même, de chaque cellule de votre être. Cette souffrance si puissante soit-elle vous emmène au bord du vide, qui sépare la vie et la mort tout en restant beaucoup trop proche du côté lumineux. C'est à ce moment-là que vous recherchez les ténèbres avec frénésie. La souffrance du deuil est une tempête qui reflue parfois pour revenir avec d'autant plus d'acharnement pour rappeler l'absence douloureuse.

La vie ne vaut pas la peine d'être vécue parfois...

Je ferme les paupières, je voudrais être mort, être ailleurs, mais ne pas vivre ça. D'ailleurs, je devrais être mort, ce monde ne peut pas exister. J'ai tellement mal, je ne sens même plus mes mains. Je n'ai plus de conscience, je suis simplement perdu, perdu à jamais. Ma poitrine est tellement contractée, je n'arrive même plus à pleurer. Je suis prisonnier de cette douleur, ou bien c'est elle qui est emprisonnée en moi.

Pourtant tout cela est faux non ?

Je ne sais plus. Je ferme les yeux plus fort, me laissant emporter dans ces ténèbres bien plus rassurantes...

***

Alors que mon esprit semble si loin, une idée me vient.

La Faucheuse...

Serait-elle l'auteure du meurtre ? Mais d'ailleurs, de quoi mes parents sont-ils morts ? Le sont-ils même vraiment ? Je relève brusquement la tête, les sourcils froncés.


Stella a cessé de crier et de sangloter. Je la secoue doucement, elle émet un petit gémissement qui me fait grimacer. Il reflète toute sa détresse et sa douleur, cela me donne envie de pleurer mais je déglutis, refoulant mes larmes. Elle tourne son visage bouffi vers moi, son regard se plonge dans le mien et se remplit à nouveau de larmes. Je dépose un baiser sur son front tout en la serrant contre ma poitrine. Elle frotte son visage contre mon T-shirt. Je la berce doucement sans cesser de poser mes lèvres dans ses cheveux.

Je me tourne vers mes parents et observe attentivement leurs visages. Leurs lèvres pâles sont serrées comme pour retenir un cri, leurs yeux entrouverts et vitreux sont cernés de noir. Je plisse des yeux pour tenter de mieux distinguer les détails, je bouge pour me rapprocher. Les tâches sombres semblent s'allonger comme de petits filaments noirs. En plissant des yeux, je vois plus clairement ces veines qui cernent leurs yeux. D'où viennent-elles ?

- « Stella ? » murmuré-je. « Regarde-moi s'il te plaît.»

- « Oui... » souffle-t-elle tout doucement.

- « Écoute-moi bien, » lui dis-je en tenant son visage entre mes mains. « Papa et Maman ne sont pas morts par hasard, quelqu'un les a assassinés, et on doit savoir qui c'est. »

- « Mais à quoi ça va servir Ben ? » demande-t-elle la voix rauque.

- « On va se venger Stella, je t'en fais la promesse, » lâché-je les yeux lançant des éclairs et la voix remplie de larmes.

Ma sœur secoue sa petite tête et recommence à pleurnicher.

- « Eh Stella, » appelé-je. « Regarde-moi. Je t'en prie.»

Mais elle garde le visage baissé.

- « STELLA ! » crié-je. « Maintenant tu vas écouter et tu vas être forte d'accord ? »

Elle se redresse timidement et me fixe en reniflant.

- « Tu vas être forte Stella, » répété-je plus doucement. « Et moi aussi. On va s'en sortir sœurette, et on va faire payer tout ça à ces gens. »

Elle hoche la tête en se frottant les yeux pour sécher ses larmes.

- « Regarde, » lui ordonné-je en désignant les veines noires autour des yeux de nos parents.

« Tu vois ça ? Eh ben crois moi, c'est pas normal... »

Stella fronce ses petits sourcils et approche sa main des corps. Elle pose un doigt sur la joue de Papa et se tourne vers moi.

- « Il a froid, » chuchote-t-elle.

Je hoche la tête, les yeux dans le vague et le cœur serré.

Si c'est un rêve c'est vraiment réaliste... Je ressens chaque émotion de façon si puissante. Et Stella, je la tiens dans mes bras...

J'inspire profondément et me concentre de nouveau sur ma petite sœur en retenant un sanglot. Elle dépose un baiser sur le front de Papa puis de Maman avant de se détourner, le visage mouillé de larmes. Je décide de faire pareil. Puis, je pose ma main sur les taches de sang sur les draps, elles sont encore fraîches. Tremblant, j'abaisse doucement le tissu relevé jusqu'à leurs mentons. Mon cœur bat la chamade, j'ai peur de ce que je vais découvrir...

***

Je retiens mon souffle puis découvre d'un coup leurs poitrines. Stella émet un hoquet de dégoût, ou de terreur peut-être. Moi, je suis paralysé.

Deux trous béants remplacent leurs torses.

Leurs cœurs ont été arrachés...

Un violent frisson me parcourt, il faut fuir. Paniqué, je saisis la main de Stella et l'emmène hors de la chambre.

- « On y va Stella, » lui dis-je la voix tremblante.

- « On va où ? » demande-t-elle d'une toute petite voix.

- « On fuit... »

Post MortemWhere stories live. Discover now