Post Mortem

Chapitre 8 : Prisonnier

Le lendemain matin, nous petit-déjeunons avec les parents d'Angèle à qui nous racontons les événements de la nuit passée. Ils semblent perplexes.

- « Tu vas y aller ? » demande sa mère.

- « Oui, » je réponds. « Je n'ai pas le choix. »

- « Je t'accompagne ! » lance Stella.

- « Et moi aussi, hors de question que tu y ailles tout seul, » rajoute Angèle.

- « Non, » dis-je en secouant la tête. « Vous ne devez pas prendre de risques, souvenez-vous ce qu'a dit la Faucheuse « quel qu'en soit le prix ». Je ne veux pas vous perdre, vous êtes tout ce qu'il me reste. »

Angèle jette vers moi un regard tendre et murmure :

- « Tu sais très bien que tu ne réussiras jamais à me convaincre, j'ai aussi vu la Faucheuse et je ne te laisserai pas te battre seul. On peut t'aider. »

- « Je ne suis pas sûr que Stella nous soit d'une grande aide, » dis-je en grimaçant.

Ma petite sœur lève la tête en entendant son prénom et fronce ses petits sourcils.

- « Je dois t'aider, » déclare-t-elle d'une voix sombre, « Pour Papa et Maman. »

Mon cœur se gonfle devant son courage et sa persévérance. Elle est si jeune... Sans doute ne voit-elle pas l'ampleur du danger. Si nous croisons des démons, ils essayeront de nous tuer et elle pourrait y laisser la vie. A cette pensée, mon cœur se serre dans ma poitrine, je n'ai pas envie de la perdre, avoir perdu mes parents demeure assez difficile à supporter...

Pourtant, si ce que dit la Faucheuse est vrai, ce monde symbolise une alternative de la réalité. Mes véritables parents ne sont pas morts, ils sont sur Terre, là où je les ai abandonnés, en me tuant.

Les regrets m'assaillent d'un coup et mes yeux se remplissent de larmes.

Pourquoi ai-je baissé les bras ? Ils vont souffrir à présent, de m'avoir perdu. C'était mon choix mais ce n'était pas le bon. En voulant m'épargner des souffrances, je leur en ai offert. Qu'ai-je de si mauvais en moi pour que mon cœur fasse les mauvais choix ? Ce monde n'est pas celui dont je rêvais et à présent, je dois me battre pour atteindre enfin la paix. Pourquoi ne leur ai-je pas raconté ? Ils auraient pu m'aider. Maintenant, je dois payer le prix de mes erreurs...

***

Je me lève, et, d'un pas décidé, me dirige vers la chambre d'Angèle en essuyant rageusement mes larmes. Cette dernière m'emboîte aussitôt le pas.

- « Ben ! » appelle-t-elle. « Tout va bien ? »

Je ne réponds, pas les mâchoires serrées.

Je dois me battre.

- « Ben ! Tu m'écoutes au moins ? »

Les poings sur les hanches, Angèle me dévisage en fronçant les sourcils. Je la fixe un instant, ne sachant quoi lui dire.

Est-ce qu'elle me croira si je lui raconte ce qu'il s'est passé dans le monde réel ? Qu'elle n'est qu'une illusion ? Mais attend... la Faucheuse lui a déjà dit que je m'étais suicidé, et elle n'a pas réagit... Je lui en parlerai plus tard, pour l'instant, il faut se débarrasser des démons et s'assurer que ma petite sœur reste en sécurité.

- « Il faut se dépêcher Angèle, » murmuré-je.

Elle pose une main rassurante sur mon épaule, mais je la sens aussi appréhensive que moi. Je saisis la plume noire et l'observe.

- « Je n'ai aucune idée de la façon dont je vais l'utiliser, » confié-je à ma petite amie. « Je ne comprends pas. »

- « Fais confiance à la Faucheuse, » répond-elle. « Elle a dit que ce serait simple. »

- « Mouais... » grimacé-je, pas vraiment rassuré.

La Faucheuse peut également nous avoir menti... Je ne lui fais pas totalement confiance étant donné la situation dans laquelle je suis. Par contre, c'est elle qui détient mon laissez-passer vers le Paradis, donc je n'ai pas vraiment le choix. Lorsque je lève les yeux vers Angèle, son teint pâle m'inquiète.

- « Qu'est-ce que t'as ? » lui demandé-je, inquiet.

Elle désigne en tremblant un point derrière moi. Je fronce les sourcils en me retournant et découvre sans surprise la Faucheuse. Elle se tient dans l'ombre formée par l'armoire d'Angèle. Je réalise qu'elle évite la lumière du soleil. Voilà pourquoi elle ne peut pas tuer les démons !! Sortir de jour pourrait la tuer... Je ne peux retenir un petit sourire en coin, je connais sa faiblesse.

- « T'es venue pour quoi cette fois ? » lui demandé-je.

- « J'ai quelques précisions à t'apporter » me lance-t-elle. « Mais j'aimerais qu'on soit
seuls. »

Elle désigne Angèle de sa faux et penche la tête sur le côté. Cette dernière ne se fait pas prier et sort précipitamment de la pièce. Une fois seul avec elle, je la fixe intensément en attendant qu'elle parle.

- « Ben, » commence-t-elle gravement. « Je dois te dire quelque chose. »

Après un instant elle reprend.

- « Je t'ai rappelé du royaume des morts pour que tu sauves ce monde. Tes proches savent tout. Ce monde est réel. »

J'ouvre de grands yeux effarés.

- « Comment ça ?? » questionné-je, perdu.

- « Ils savent que tu t'es donné la mort. »

À ces mots, mon cœur dérape et je me retiens au lit de ma petite amie pour ne pas défaillir.

Alors, je ne suis pas fou. Je suis bien mort, puis revenu... C'est impossible, je ne peux pas être là, je suis en plein cauchemar. La Faucheuse me ment, c'est certain. Sinon, pourquoi Angèle et les autres ne m'en auraient-ils pas parlé ? Tout cela n'a aucun sens !

Je tente de reprendre mon souffle mais mes mots restent bloqués dans ma gorge. Mon esprit déraille, mes sens se brouillent.

- « Pourquoi ne m'en ont-ils pas parlé ? » lui demandé-je le cœur battant. « C'est impossible ! Tu mens ! Ce monde ne peut pas être réel ! Je suis MORT ! »

Elle secoue lentement la tête et s'approche de moi.

- « Je suis désolée Ben, » grince-t-elle de cette voix que je hais tant. « Je ne dis que la vérité. Tu vas sauver ce monde, et tout redeviendra comme avant. Tu rejoindras ceux qui font partie de l'autre monde et toute souffrance n'existera plus. J'aurais joué mon rôle et toi le tiens, l'équilibre de l'univers sera rétabli. »

Les larmes coulent le long de mes joues. Je regrette tellement mon geste de lâcheté. À présent, je suis obligé d'accomplir cette mission, et ensuite je serai libre. Au Paradis, libre mais seul. Qu'est-ce que la liberté d'ailleurs ? La Mort était-elle le seul moyen d'y parvenir ? Ma vie s'est arrêtée si brusquement, je ne me sens plus capable de me relever. Je veux me battre mais est-ce encore possible ?