Chapitre 6 : Visite

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Rien.

Il n'y a rien.

Derrière le mur, je ne trouve que le néant. La créature, quelle qu'elle soit n'est plus là.

Mon Dieu c'est impossible. Mon imagination me joue des tours.

J'inspire profondément.

Ok, il n'y a personne, cette main n'appartient à personne. Bon, ce n'est pas vraiment plus rassurant mais je n'ai pas le choix. Je ne vais pas rester là à attendre qu'une créature qui n'existe pas pointe le bout de son nez.

Je saisis résolument Stella par la main et commence à gravir les escaliers. L'ascenseur et moi, ça fait deux, et en cette période de crise, je refuse de prendre plus de risques.

Le bois craque sous nos pas, le petit tapis recouvrant les marches ne parvient que partiellement à l'étouffer. La terreur demeure présente au fond de moi, elle ne semble pas décidée à me laisser en paix. Je tremble, ma démarche n'est pas assurée et mon esprit est rempli de questions restées sans réponses. Tout à coup, j'entends un bruit. Léger. Ténu. Presque inaudible. Comme un frottement. Ou un flottement.

J'ai déjà entendu ce bruit et je sais ce qu'il signifie.

La Faucheuse...

Elle est de retour, mon être vibre de peur, d'effroi, d'angoisse, je ne saurais même pas qualifier ce sentiment.

Et Stella est avec moi en plus.

- « Cette fois tu ne m'auras pas », murmuré-je.

Je serre la petite main de ma sœur dans la mienne et je la presse afin de monter plus rapidement. Voyant qu'elle n'arrive pas à suivre le rythme, je la prends dans mes bras et cours jusqu'au troisième étage. Une fois devant la porte de l'appartement d'Angèle, je sonne sans me poser de questions. Un sentiment d'urgence affole mon rythme cardiaque, le temps presse. Bientôt, la Faucheuse sera derrière nous, j'entends déjà le bruit de sa faux contre la rampe d'escalier. Je me mets à tambouriner contre la porte avec furie.

- « Ouvrez, je vous en supplie ! » hurlé-je.

Dans mon dos, un souffle rauque me chatouille les cheveux.

Mon Dieu.

Je me fige, incapable de respirer. Je vais mourir ici. Je refuse de faire face à la Mort, elle ne triomphera pas. Pas aujourd'hui.

Les secondes s'écoulent si lentement que je sursaute lorsque la porte s'entrouvre.

- « Bonsoir, qui êtes-vous ? » demande une voix ensommeillée.

Je ne prends même pas le temps de répondre et me précipite à l'intérieur en claquant la porte derrière nous.

***

Je m'autorise enfin à respirer, je fais descendre Stella de mes épaules et me tourne vers ce visage qui nous a accueilli, c'est la mère d'Angèle. Elle me fixe, les yeux ronds.

- « Ben ?! Mais enfin qu'est-ce que tu fais ici en pleine nuit ? Et avec Stella en plus ? » demande-t-elle, complètement ahurie.

La Mort nous poursuit et nos parents sont morts alors je viens chez vous, vous avez de la place j'espère ?

Je secoue la tête, repoussant le sourire sombre qui commençait à étire mes lèvres. Tout à coup, dans la semi-obscurité, face à ce visage au regard rempli d'incompréhension, je sens toute la tension des dernières heures me retomber dessus. C'est la douche froide. Je sens toute force m'abandonner. Je prends Stella dans mes bras et la serre avec désespoir, en laissant mes larmes couler telles des torrents. Je suis vidé, seul, détruit. Mon être entier tremble, secoué par mes sanglots. Je ne vois plus rien, je ne sens plus rien, je n'entends plus rien. Je suis noyé dans un océan de larmes, de tristesse, de détresse. J'ai l'impression que je suis arrivé au bout de toute chose, que mon existence a pris fin et que plus rien ne mérite d'être vécu. Toute ma vie est partie en miettes en à peine deux heures.

Je suis mort et puis je me suis retrouvé ici. Perdu. Dans un monde où plus rien n'a de sens. Dans un monde où ceux que j'aime meurent. Pourquoi moi ? Pourquoi dois-je vivre ça ? Alors que ma vie semblait être un calvaire, celle-ci est bien pire. Que faut-il faire ? Se laisser mourir, et abandonner Stella ?

« NON ! » hurle une petite voix au fond de moi. «Tu n'as pas le droit d'abandonner. Tu dois te battre. N'oublie pas tes parents. Ils ne doivent pas mourir sans être vengés. Tu l'as promis à ta sœur.»

Je relève lentement la tête et me frotte les yeux. La mère d'Angèle a visiblement appelé sa fille puisque celle-ci se tient accroupie devant moi.

- « Tu es sûre que ça va Ben ? Tu veux bien me dire ce qui t'arrive ? » murmure-t-elle.

J'aime Angèle pour sa gentillesse et sa dévotion, notre relation a débuté il y a trois mois et je suis éperdument amoureux d'elle. Malgré mes problèmes, je parvenais à être heureux à ses côtés. Et puis, il y a eu ces mots de trop et je me suis donné la mort...

Et depuis, rien ne va plus. Est-ce que c'est ça la vie après la mort ? Suis-je au Paradis ? Ou aux Enfers ? Je n'ai jamais cru à ces mythes mais vu la situation dans laquelle je me trouve, toutes mes certitudes se sont envolées.

- « Ben ? Tu m'entends ? » demande Angèle.

- « Excuse-moi » murmuré-je. « C'est... compliqué.»

- « Venez boire un verre d'eau à la cuisine, » propose sa mère en prenant Stella par la main.

Je les suis, l'esprit embrumé par toutes mes questions et par mon chagrin.

***

Là, assis les uns en face des autres, toute ma vie semble s'être effondrée. Je suis incapable de laisser sortir les mots et ce n'est pas Stella qui va parler. Je fixe le vide, attendant que le temps passe. Mon cœur bat fort et résonne dans mon crâne.

Angèle dépose tendrement sa main sur la mienne et me fait sursauter.

- « Ben, je crois qu'il est temps que tu nous racontes... » murmure-t-elle. « Je vois bien que tu souffres, dis-nous, ça te libérera. »

Je prends une grande inspiration et tente de calmer mon cœur affolé. Tout mon être vibre d'une terreur indescriptible, j'ai du mal à reprendre ma respiration. J'ai peur, et si la Faucheuse revenait ? Et si elle nous tuait ? Mes yeux me piquent par manque de sommeil, la sueur coule le long de mon dos et me fait frissonner. Je suis comme dans un état second.

Suis-je dans un cauchemar ?

Et si je leur raconte, pourront-ils seulement m'aider ?

- « Il s'est passé beaucoup de choses en fait » chuchoté-je, la voix rauque.

Angèle et sa mère tournent leur tête vers moi et Stella m'enserre de ses petits bras.

Alors, j'expire lentement et je leur raconte tout, sans oublier les détails : la mort de nos parents, la Faucheuse et sa disparition, la main dans la cage d'escalier...

À la fin de mon récit, ma sœur et moi hoquetons de désespoir. Nos pleurs ont tellement coulé qu'ils ont sali nos pyjamas. La mère d'Angèle n'a pas bronché, comme si elle ne comprenait pas ou ne le souhaitait pas tandis que sa fille me regarde avec horreur. Sans un mot, Angèle me prend la main et nous emmène dans sa chambre. Elle installe ma petite sœur sur son lit et m'aide à m'allonger à côté d'elle.

***

Toutes les ombres de sa chambre m'effraient mais je suis trop fatigué pour lutter. Mon sommeil sera léger et douloureux mais peut-être m'aidera-t-il à voir plus clair dans cette affaire...

Alors que mes paupières se ferment et mon esprit s'embrume, je remarque une ombre derrière le placard d'Angèle.

Une ombre encapuchonnée de noir...

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