Chapitre 9

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— Je lui ai donc dit que je ne pouvais pas l'aider pour l'exercice, parce que je ne co... Eh ! Eva, tu m'écoutes ?

Le monde était flou. Au loin, Eva entendait l'écho de la voix de Megan, mais ses paroles lui remblaient dénuées de sens, comme si elle parlait une langue inconnue. Les murs de métal de la classe étaient tout à coup trop proches, le plafond trop bas, la pièce trop exiguë. Étouffante. La gorge d'Eva s'enflamma au souvenir de la nuit précédente. J'ai failli mourir, songea-t-elle pour la millième fois.

Elle ressentait le besoin d'être seule. De respirer.

Et elle avait horriblement sommeil.

— Eva !

La jeune fille cligna des yeux, mais ne parvint pas à dissiper la brume stagnant dans son esprit. Elle tenta alors de se redresser, mais ses muscles refusèrent de bouger. Eva ne sentait qu'à peine la table sur laquelle elle avait croisé ses bras et avait posé la tête ; tête qui semblait prête à exploser. Elle avait comme perdu tout contrôle sur son corps, et seul son esprit restait conscient, bercé dans des flots de douleur. Elle voulut répondre à son amie, mais ses lèvres restèrent obstinément closes.

Une main la secoua doucement, puis avec plus de vigueure, mais ce fut à peine si elle le sentit. Elle entendit des mots répétés en boucle, et mit plusieurs minutes pour comprendre que c'était son nom que la personne à côté d'elle criait.

Chris, réalisa-t-elle enfin.

Eva puisa dans ses ressources d'énergie les plus enfouies pour lui répondre, lui dire qu'elle l'entendait, que tout allait bien. Au moment où ses lèvres s'entrouvrirent, un voile noir tomba devant ses yeux.

• • •

Lorsqu'Eva reprit conscience, elle se trouvait allongée dans un lit médical, au centre d'une toute petite pièce totalement vide, à l'exception du lit dans lequel elle se trouvait et d'une table de chevet sur laquelle était posé un verre d'eau. Elle se redressa lentement, bu une gorgée, puis examina son état. Elle n'avait plus aussi sommeil qu'avant, son corps lui répondait de nouveau, et son esprit était presque totalement clair, mais dès qu'elle fit un mouvement brusque, une douleur aiguë lui déchira le crâne. Elle s'agrippa la tête entre les mains en grognant, mais l'élancement se dissipa finalement. Eva se laissa tomber sur l'oreiller en soupirant.

Qu'est-ce que je fais là ? Se demanda-t-elle alors. Manifestement, on l'avait emmené jusqu'à l'hôpital. Elle se souvenait vaguement s'être évanouie, mais n'arrivait plus à se souvenir de ce qui avait précédé son malaise.

Super... Je deviens amnésique maintenant.

Trois coups frappés à la porte la tirèrent de ses pensées. Chris, Megan et Jayden entrèrent alors, la mine inquiète.

— J'ai pas dit "entrez", leur fit remarquer Eva. Bande de gens impolis.

— Tu vois qu'elle va bien ! S'exclama Jayden à l'intention de Chris. Tant qu'elle fait de l'humour, certes très nul, c'est qu'elle n'est pas mourante.

Le garçon blond l'ignora, pour s'approcher du lit où était maintenant assise son amie. Il scruta son visage, comme pour s'assurer qu'elle allait bien. La scène commençait à devenir gênante, mais Megan s'approcha à son tour d'Eva et lui attrapa la main, brisant le contacte visuel entre ses deux amis.

— Tu nous as fait super peur ! S'exclama-t-elle. Qu'est-ce qui t'es arrivée ? Les médecins ont dit que tu avais la tension plutôt basse, mais ils n'ont décelés aucun autre problème...

— J'étais juste fatiguée, ne t'inquiète pas.

La voix d'Eva était légèrement hésitante, mais elle choisit de ne pas leur parler immédiatement de ce qu'elle avait découvert la nuit précédente. Y penser ravivait dans son esprit la peur qui la hantait depuis lors, et de plus, ce n'était pas le bon moment. Elle jeta un coup d'œil au petit appareil noir placé dans un coin de la pièce, qui les observait en silence. Il valait mieux s'éloigner des caméras, même si elles ne comportaient pas de micro, puisqu'elle n'étaient pas là pour espionner les citoyens, mais pour s'assurer de leur sécurité. On est jamais trop prudent, conclut-elle.

— Juste fatiguée ? S'étonna Chris. Tu ne répondais plus, tu respirais à peine, et ton regard...

Il laissa sa phrase en suspend, le corps remué d'un frisson d'horreur. Eva préféra ne pas demander d'explications, consciente d'avoir réellement inquiété ses amis.

— Je suis désolée, murmura-t-elle.

— Eh ! T'as pas à t'excuser ! La coupa Jayden. On a eu peur pour toi, mais si tu dis que tu vas bien... Et bien nous allons bien aussi, pas vrai ?

Chris acquiesça distraitement d'un hochement de tête, l'air toujours préoccupé.

— Tu veux qu'on te laisse te reposer ? Proposa alors Megan, en passant une main dans ses boucles blondes. Le médecin qui t'as installé ici à assurer que tu pouvais rester autant de temps que tu le voulais.

Eva s'apprêta à refuser, mais elle songea alors que prendre un peu de temps pour réfléchir lui ferait du bien. Ses amis se dirigèrent donc vers la sortie, mais Chris s'arrêta avant de passer la porte. Il se retourna, scruta une nouvelle fois le visage de son amie.

— Tu es sûre que tout va bien ?

La préoccupation qui tinta dans sa voix brisa le cœur d'Eva, qui eu soudainement envie de tout lui raconter, mais la présence de la caméra l'en dissuada une nouvelle fois. Elle se sentait terriblement coupable de lui cacher cette information, qui les concernait tout autant qu'elle, mais elle savait qu'elle devait être prudente. J'ai juste besoin d'y réfléchir un peu, le temps d'accepter le fait que nous ne sommes pas autant en sécurité que nous l'avons toujours cru.

— Dans ce cas, je te laisse récupérer...

— Chris ! l'arrêta Eva, avant qu'il quitte définitivement la chambre de soin. Comment vous m'avez emmené jusqu'à l'hôpital, tout à l'heure ? On était au premier étage, et je ne me souviens pas avoir monté d'escaliers...

Le garçon lui fit un clin d'œil, mais ne répondit rien, jusqu'au moment où il appuya sur la poignée de la porte métallique, qui s'ouvrit en grinçant.

— Tu es plus lourde que ce que je pensais, lâcha-t-il alors, avant de disparaître dans l'embrasure de la porte.

Eva sentit ses joues s'enflammer, mais Chris n'était plus là pour le remarquer.

— Merci, murmura-t-elle.

Puis elle se retrouva de nouveau seule, avec comme unique compagnie le souvenir de la nuit précédente et ses pensées angoissées.

Memoriae - Tome 1 : No man's landWhere stories live. Discover now