8. Restons positifs

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Karol

J'aurais cru que les kilomètres seraient un frein à une amitié naissante, mais Valentina m'a prouvé le contraire. Il ne lui a fallu qu'une minute pour répondre à mon message par un « bouge pas, j'arrive ». Juchée sur son scooter, elle a avalé les kilomètres qui nous séparaient, certainement un peu trop rapidement. J'entends le vrombissement de son véhicule qui remonte le long de la rue. Au vue de la pétarade qu'il provoque, nul doute qu'il a été débridé. En tout cas, c'est ce qu'aurait dit Ruggero.

Mon cœur se serre quand je songe à lui. La distance qui nous sépare me vrille le cœur et manque de me faire monter les larmes aux yeux. C'est autant l'amour que les hormones qui guident mes émois un peu trop nombreux ces derniers temps.

Sous le soleil frais de Novembre, mon amie gare son scooter dans mon allée, juste derrière le break de mes parents. Elle retire son casque, laissant vagabonder des longs cheveux dans son dos. Un sourire se dessine sur mon visage lorsqu'elle m'aperçoit à la fenêtre. Je quitte ma chambre pour la rejoindre avant qu'elle n'ait eu l'occasion de sonner. Pour le moment, mieux vaut que mes parents ne la voient pas. Ils vaquent à leurs occupations, profitant du week-end pour se poser.

J'enfile ma veste avant de quitter la maison pour rejoindre mon amie dehors. Avant de dire quoi que ce soit, elle me serre contre elle. Je me sens gauche, godiche. Sans pouvoir m'en empêcher, je prends du poids. Je ne contrôle plus mon corps. Mes émotions sont en pagailles, et il y a tellement de choses que je refuse de dire à Ruggero de peur qu'il me quitte. Je n'ai pas parlé des hémorroïdes, de la constipation, je ne lui ai pas raconté les nausées qui continuent chez moi, ou mes tétons douloureux qui ne supportent même plus les soutien-gorge. J'aurai pu lui parler de mes seins qui ont grossi et me donnent des maux de dos, mais à quoi bon ? A quoi bon l'effrayer avec ça ? Je suis déjà terrifiée par ma situation, et mon petit ami doute de ma fidélité. Je ne peux pas l'inquiéter encore plus.

- Bon alors, c'est l'heure du grand déballage ? demande Valentina.

Une boule naît dans ma gorge. Je déglutis péniblement en hochant lentement la tête comme si cela pouvait retarder l'inévitable. Je suis certaine que ma mère est au courant. Je suis certaine qu'elle le cache autant que moi, par peur des conséquences que pourraient avoir la vérité sur nos vies. Mon amie frotte mes bras entre ses mains, essayant de me rassurer avec son sourire :

- Restons positives, d'accord ? déclare-t-elle.
- Oh, tu veux dire, comme ce test de grossesse qui a changé ma vie ?

La jeune femme rit, et même moi, je ne peux pas m'empêcher de laisser échapper un sourire. Il faut croire que je ne vais pas si mal, puisque je parviens encore à faire de l'humour. Valentina hoche vigoureusement la tête en saisissant mon bras. Je ne suis pas encore prête pour l'exercice auquel je vais me livrer, mais elle ne me laisse pas le choix. Sans me demander mon avis, elle m'entraîne vers la porte de ma propre maison, comme si elle était chez elle. Je sens le poids de son bras sur le mien, ses doigts fermés sur ma manche qui me rassurent.

Peu importe ce qui va arriver, je ne suis pas seule. Je n'aurais certainement pas les bons mots, je vais sûrement bégayer, mais il y aura quelqu'un dans mon dos pour me soutenir et me retenir, arrêter ma chute avant que je touche le sol. Même depuis le désert, Ruggero est de bon conseil. Parfois, j'ai l'impression qu'il est toujours à mes côtés. Nous entrons. Aussitôt, la chaleur du feu qui crépite dans le poêle nous assaille. Valentina laisse échapper un soupire de bien-être. Après sa course folle à travers la ville pour me retrouver, elle doit être frigorifiée. Dans le salon, mes parents discutent sans vraiment faire attention à la télévision qui tourne.

C'est un de leur rituel. Ils se calent devant l'écran et, sans faire attention à ce qui s'y passe, ils parlent, complices. Mon cœur s'emballe tandis que nous approchons. Ils nous tournent le dos, mais je suis certaines qu'ils savent déjà que nous sommes là. Je saisis la télécommande posée sur la table – preuve qu'ils n'en ont absolument pas besoin puisqu'ils ne regardent pas – et éteins. Le bras de Valentina devient un soutien et une bouée plus qu'un poids à présent.

J'ai besoin de sa présence pour ne pas sombrer. Si seulement Ruggero était là ! Je secoue la tête pour ne plus y penser. Bon sang, pourquoi cela paraît-il plus facile dans les films ? Tout est scénarisé, prêt à l'emploi. Il n'y a plus qu'à jouer et les filles arrivent à tout avouer à leurs parents sans bégayer, et surtout, sans aide. Elles sont seules pour cela, quand je suis incapable de l'être.

Mes parents ne remarquent pas directement que la télévision est éteinte. Valentina me pousse légèrement du coude pour me pousser à me manifester. Comme une idiote, je tousse. C'est tout ce que j'ai trouvé, mais je ne sais pas du tout comment engager la conversation. Ils se tournent vers nous, surpris.

- Chérie, pourquoi as-tu éteint ? demande mon père.
- Bonjour, Mademoiselle, souffle ma mère. Qui êtes-vous ?

Valentina ouvre la bouche pour répondre, mais je la prends de court :

- Une amie. Elle est là pour me soutenir.

Je me rends compte que je serre convulsivement la télécommande entre mes doigts tandis que je contourne le canapé pour faire face à mes parents. Valentina me suit sans un mot. Elle a compris que, pour l'instant, son soutient devait être uniquement muet. Parler ne ferait qu'aggraver la situation et me réduire au silence. J'ai besoin de m'exprimer. Les mots me manquent. Je n'entends plus que les battements assourdissants de mon cœur qui résonnent dans mes oreilles. L'inquiétude que je lis dans le regard de mes parents me rassure. J'ai l'impression que je pourrais tout leur dire, qu'ils présents et à l'écoute pour moi.

Puisqu'il n'y a pas de bonnes manières d'annoncer les mauvaises nouvelles, je décide de le faire sans détours. A quoi bon tourner autour du pot pendant mille ans ? Les mains serrées sur la télécommande, les doigts de Valentina sur mon bras, je laisse échapper les mots :

- Je suis enceinte.

Les mots me percutent. Je me rends compte que c'est véritablement la première fois que je les prononce. Ils me glacent le sang. Un frisson me parcourt l'échine tandis que je vois quelque chose dans le regard de mes parents. Une flamme s'y éteint, étouffée par le poids que je viens de laisser tomber. Ils me fixent, incapables de parler.Je m'agrippe à la télécommande comme si elle pouvait m'empêcher de me noyer. Mon estomac est noué, mais j'ai peur qu'il se soulève si jamais mon cœur ose se remettre à battre.

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Chapitre écrit par AngieWings97


Mi AmorWhere stories live. Discover now