10. Permission

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Ruggero

Je viens de passer plusieurs jours à angoisser pour Karol. Même loin, je suis trop impliqué dans sa vie, et je crains que ça ne me porte préjudice. Je garde tous mes doutes pour moi, en comprenant que la jeune fille n'a pas besoin de ça. Elle va déjà assez mal. Sa vie est devenue trop compliqué, et moi, trop loin, je ne peux pas l'aider.

Lorsque le courrier arrive, je me jette dessus. Et chaque fois, je me prends une quand je m'aperçois que sa lettre n'est pas dans le tas. Il faut du temps pour qu'elle arrive jusqu'au désert africain dans lequel je me trouve. En attendant, je re lis ses autres mots, je regarde ses photos, et j'angoisse, j'appréhende. J'attends.

— Rugge ! me hèle Jorge.

Il agite une enveloppe blanche dans tous les sens. Je fronce les sourcils en me dirigeant vers lui, étouffant dans mon cœur la flamme de l'espoir qui essaye de naître. Je préfère me dire qu'il va encore me parler pour me distraire plutôt que de croire qu'il tient la lettre de mon amour entre ses doigts. Mais lorsque, sans un mot, il me la tend, je comprends.

Et mon souffle se bloque dans ma poitrine lorsque j'aperçois mon nom, écrit de lettres tremblantes. Mon estomac se contracte. Je sais immédiatement que quelque chose ne va pas. Alors que les conversations vont bons trains autour du sac qui contient le courrier, je m'éloigne pour la lire tranquillement. J'ai besoin d'avoir la tête bien reposée pour déchiffrer cette écriture tremblante qui ne lui ressemble pas. D'ordinaire, ses courbes sont volontaires et élégantes, mais on dirait que quelqu'un la terrassait lorsqu'elle a rédigé cette lettre.

« Mi Amor,

Avant toute chose, je dois te rassurer quant à mes sentiments pour toi. Je t'aime et tu es le père de ce bébé. Si tu veux faire un test ADN pour en avoir la preuve, je suis prête à ce qu'on le fasse. Je n'ai rien à te cacher, et j'ai toujours été honnête, dans toutes mes lettres. Je ne pensais pas que notre éloignement serait aussi difficile à gérer pour toi également, ni que tu puisses douter de moi, et maintenant, je me rends compte que c'est tout ce que tu peux faire de là où tu es.

Il faut donc que je te le dise – ou plutôt te l'écrive – en toutes lettres.

Ruggero Pasquarelli, tu es mon roc. Tu es mon soleil. Tu es ma vie et mon cœur. Tu es la personne que j'aime le plus dans ce monde, et dans tout ceux qui existent peut-être. Sans toi, je n'aurais jamais pu devenir le petit bout de femme que je commence à être aujourd'hui. Sans tes lettres, je n'aurais jamais trouvé de réconfort dans cette situation. Je suis désolée de n'avoir pensé qu'à moi tout au long de ces missives, comme si tes sentiments ne comptaient pas. Mais sache, Ruggero, que tu es au cœur de mes pensées à chaque seconde qui passe. Et je hais chacune d'entre elles où tu n'es pas à côté, tout comme je bénis la suivante car elle me rapproche de ton retour.

Tu es mon homme.

Le père de mon enfant.

Et je t'aime.

Je suis désolée d'avoir oublié de te joindre une échographie du bébé. Je suis une idiote finie, et quand tu liras la suite de cette lettre, tu n'en douteras plus longtemps. Toi, tu as peur que je mente. Moi, j'ai peur que tu me quittes. Crois-tu que nous arrêterons de craindre l'autre un jour ?

J'ai annoncé la « grande nouvelle » à mes parents. Autant te dire qu'ils n'ont pas été aussi réceptifs que je l'espérais. Je savais déjà que leur puritanisme pouvait poser problèmes, mais pas à ce point. Valentina était à mes côtés, alors que ça aurait dû être toi. Je n'aurais malheureusement pas été plus forte si ça avait été le cas. Un silence de plomb a suivi mes paroles, puis...

Je ne sais pas comment finir cette phrase. J'ai peur que l'écrire ne rende la chose trop réelle. Actuellement, je suis dans une bulle de déni, tellement bienfaisante que je n'ai pas envie de la quitter. Mais voilà, Ruggero, Mi Amor, je n'ai plus de parents aujourd'hui.

J'ai eu l'audace outrancière de faire un enfant en dehors du mariage.

Quel crime atroce, pas vrai ?

Je vis actuellement chez Valentina. Elle a eu la gentillesse de me prêter une chambre. C'est idiot. Je connaissais à peine cette fille avant, et soudain, elle est devenue ma meilleure amie ! Je peux te dire qu'elle est incroyable. Une personne en or. Maintenant plus que jamais, j'attends ton retour, Mi Amor. Sais-tu quand ta mission finira-t-elle ? Je sais que nous formons déjà une famille, parce que je ressens ta présence, mais je veux croire que nous serons bientôt réunis.

Parce que sinon, je devrais me faire à l'idée que mon bébé ne connaîtra peut-être jamais son père. Et cela m'est insupportable.

Tu peux douter de moi, mais le fait est que je t'aime, Ruggero Pasquarelli.

Te quiero mi amor.

Karolita. »

J'ai le cœur en miette à la fin de cette lecture. Toute sa détresse transparaissait dans ses mots et leur écriture tremblante. Je serre les poings, froissant le papier dans le même temps. Un volcan gronde dans le creux de mon ventre tandis que la culpabilité ronge mon cœur comme de l'acide. J'aurais dû être avec elle pour l'annonce, lui tenir la main et foutre mon poing dans la tronche de son père lorsqu'il l'a jeté dehors. N'ont-ils donc aucun amour pour leur fille ? Je bénis Valentina, sa présence et sa gentillesse, mais cela ne durera pas éternellement.

Je dois rentrer au plus vite, retrouver ma femme et la chérir, mais surtout lui offrir un toit. Devenir une vraie famille, songé-je. Soigneusement, je tente de défroisser la lettre avant de la ranger dans l'enveloppe dont je tire l'échographie. La photo est toute petite, en noir, mais la silhouette grisée d'un bébé se distingue dessus. L'enfant est minuscule, et pourtant, à peine le vois-je qu'il prend toute la place restante dans mon cœur.

Les larmes me montent aux yeux et brûlent ma rétine. J'observe, pendant ce qui me semble être des heures, le fruit naissant de notre amour. Un être minuscule, pour le moment protégé du monde par le ventre de sa mère. C'est sa seule barrière, et je dois la protéger. Je me redresse, essuyant mes paupières humides. Il est temps que j'aille parler à mon sergent.

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Chapitre écrit par AngieWings97


Mi AmorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant