A la lisière de nos âmes [Terminée]

II- 8.1. Célie

La sonnerie stridente du réveil la fit bondir. Elle allait devoir changer de sonnerie si elle ne voulait pas mourir d'une crise cardiaque. Au moins le but était atteint. Elle était réveillée, choquée mais éveillée. L'entretien ! Elle bondit de son lit pour aller se préparer. Un déjeuner expéditif pour se concentrer sur le reste.

Elle réprima une grimace. Jamais elle n'allait réussir à se rendre à son entretien ainsi. Une cession d'entraînement intensif aurait dû être prescrit avec ces engins. Elle fit quelques pas, oscillant comme si son taux d'alcoolémie frôlait les limites. Elle avisa sa montre et gémit d'angoisse. Pas le temps de se changer, pas le temps d'aller chercher une nouvelle paire car oui, pour être dans la merde, elle y était jusqu'au cou ! Ses ballerines super confortables avec lesquelles elle aurait pu conquérir le monde avaient fini leur vie la veille dans la poubelle. Elle porta la main à ses cheveux prête à se les tirer de dépit mais retint son geste in extrémis. Elle avait passé une bonne demi-heure à les discipliner et à les coiffer en un chignon à peu près présentable, ce n'était pas pour tout faire foirer maintenant. Nouveau coup d'œil aux aiguilles sur son poignet. Dans moins de vingt minutes, soit tout pile le temps de faire le trajet, elle devait se trouver dans le bureau de son recruteur. Je vais mourir, songea-t-elle. Elle lança un grand « Bordel de merde » libérateur avant de quitter son appartement et de se mettre en route, serrant les dents sous la torture de ses escarpins. A l'allure où elle avançait, les chances qu'elle arrive à l'heure à son rendez-vous fondaient à vue d'œil. En parlant de fondre... Elle ouvrit de grands yeux en avisant l'état du trottoir. Seigneur, l'univers s'était ligué contre elle aujourd'hui. De la neige partiellement fondue, des plaques de verglas stratégiquement dissimulée ça et là... Son regard affolé passa de ses pieds au sol. Allez, tu peux le faire ma vieille. Si la technique d'auto-persuasion pouvait marcher !

Elle réussit à avancer, prenant bien soin de regarder où elle posait ses pieds. Déjà qu'elle était maladroite, pas question de faire des folies avec ces échasses. La première partie du trajet se passa finalement sans encombre. Elle sentit sa mauvaise humeur se dissiper. Elle allongea le pas, l'heure tournait. Ce fut son erreur.

Son pied glissa, elle se sentit basculer. La pensée qui surgit à cet instant précis fut sur cette sensation partiellement grisante de perte de repères. Un moment fugace où elle n'avait plus prise sur rien et une seule certitude, celle de l'impact imminent. Quelle idée aussi de sortir dehors avec des talons par ce temps glacial ! Les plaques de verglas ne pardonnaient pas. Elle lâcha un petit cri quand ses fesses rencontrèrent la surface dure du trottoir. Ça faisait un mal de chien. Elle balaya la rue du regard. Quelques passants flânaient, des coups d'œil lui furent jeter. La honte. Elle se redressa tant bien que mal, essayant de ne pas avoir l'air encore plus ridicule. Mission quasi impossible. Ces fichues chaussures ne rendaient pas la tâche aisée.

— Bambi a besoin d'un coup de main ?

L'image du faon sur le lac gelé reflétait exactement ce qu'elle vivait. Elle pouffa avant même de lever les yeux sur la personne l'ayant apostrophé. Son rire mourut sur ses lèvres alors qu'elle relevait la tête. Mon Dieu, achevez-moi, songea-t-elle en se sentant rougir de honte. Le chauffeur de l'autre soir. Sur tous les habitants de cette fichue ville, il fallait que ce soit lui le spectateur de sa chute grotesque.

— Avec des talons pareils sur de la glace, n'importe quelle femme aurait l'air d'un faon faisant ses premiers pas.

Se moquait-il d'elle d'une manière détournée ou tentait-il de dédramatiser la situation ? Elle hésitait. Il lui tendit la main. Elle l'observa, bloquant sur ses longs doigts dépourvus de bagues. Allez savoir pourquoi son cerveau s'accrochait à ce détail. Elle ne s'était pourtant pas cogné la tête.