III- 33. Célie

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Chaque marche descendue la rapprochait de sa mère, une confrontation qu'elle n'était pas certaine de supporter, quand bien même sa mère soit décidée à lui adresser plus de deux mots. Que lui avait dit Derek ? Comment s'y était-il pris pour qu'elle veuille enfin briser cette distance qu'elle entretenait entre elles deux depuis des dizaines d'années ? Encore six marches. Elle en connaissait le nombre exact, tant de fois compté pour les descendre à pas de loup ou les remonter au triple galop. Son cœur battait de plus en plus fort à ses oreilles. Elle malmenait sa lèvre inférieure sans pouvoir s'en empêcher. Ses pieds s'arrêtèrent à l'entrée de la cuisine. La silhouette de sa mère, prostrée sur sa chaise lui serra la poitrine. Elle semblait si fragile ainsi, portant le poids du monde sur ses épaules. Alors que la jeune femme hésitait à s'avancer, sa mère leva lentement la tête vers elle et la regarda, les joues humides, une de ses mains posées sur son cœur.

— Maman... ça ne va pas ?

— Non...

A peine un filet de voix qui se brisa. Célie s'approcha et avec hésitation, posa sa main sur l'épaule tremblante de sa mère.

— Je... Je suis désolée, balbutia celle-ci. Je n'y arrivai pas... Tous les jours, faire face à...

La jeune femme prit une chaise et s'assit près d'elle. Elle attendit que sa mère poursuive.

— ça a été si dur de faire face, d'être quittée ainsi, sans y être préparée, de... de me retrouver seule pour vous élever. Ce n'était pas de votre faute mais j'ai perdu pied... Je me suis laissée guider par la colère, celle que j'avais envers lui. Célie...

Sa mère agrippa sa main, la serra entre les siennes, riva son regard au sien.

— Je suis désolée ma fille. Derek a raison. Je t'ai blessé avec mon comportement. Je t'ai...repoussé.

— Pourquoi ?

Sa question flotta un instant dans l'air, fragile. Du bout des doigts, sa mère lui effleura la joue.

— Tu as ses traits : l'ovale doux de son visage, les mêmes prunelles noisette et son sourire... Tu me le rappelais tellement. C'était injuste, je sais mais c'était plus fort que moi.

— Tu te montrais si froide, murmura Célie. Je n'imaginais pas à quel point tu souffrais.

— Tu dois me détester et je le mérite.

Ses doigts se retirèrent de sa main, se replièrent sous la table.

— Non, maman. J'ai... Oui, j'ai souffert de ton indifférence mais... je ne te déteste pas. Au fond, j'ai toujours gardé l'espoir qu'un jour, tu changes ton regard sur moi.

— Je ne m'étais jamais clairement avoué la raison de mon comportement et le faire m'a ouvert les yeux. Je m'en veux tellement, ma fille.

Le cœur de Célie tressaillit. Elle avait prononcé ces mots avec tendresse. Des larmes lui montèrent aux yeux.

— Pardonne-moi de ne pas avoir su être une mère pour toi, de ne pas t'avoir montré à quel point je t'aime. Car même si je luttais contre la colère, jamais je n'ai cessé de t'aimer, Célie. J'espère que tu me donneras l'occasion de te le prouver.

La jeune fille essuya les larmes qui coulaient à présent. D'entendre ces paroles qu'elle avait tant attendu de sa part provoquait un trop plein d'émotions. Elles pleurèrent ainsi pendant quelques minutes, leurs mains jointes posées sur la table, les larmes lavant les blessures de leur âme.

— Il a l'air de tenir à toi ce jeune homme que tu as amené.

Célie, émue, hocha la tête.

— Je nous prépare du thé ? proposa sa mère.

— On peut se joindre à vous ? s'enquit Derek en apparaissant dans la pièce.

Zachary le suivait et Célie le rassura d'un sourire tendre sur son état. Bientôt, elle retrouva la chaleur réconfortante de ses bras alors qu'il prenait place près d'elle.

Sur le perron, Célie se pencha vers sa mère pour lui dire au revoir. Elle se retrouva étreinte par les deux bras maternels. Sur le coup, elle se figea avant de se détendre et de la serrer à son tour. Même si leurs gestes restaient encore emprunts de gêne, Célie sentait à quel point leur discussion avait bouleversé les choses entre elles. Elle quitta sa mère le cœur apaisé, délivré des tourments du passé. Dans la voiture qui les ramenait à Boston, chez eux, elle se pelotonna contre Zachary, heureuse, à sa place. En croisant le regard de son frère dans le rétroviseur, elle articula un « merci » silencieux. D'un clin d'œil, il enregistra le message. Elle avait hâte de retrouver leur quotidien, hâte de tout raconter à Sasha et tante Emmie, hâte de profiter de la vie, délivrer des chaînes qui entravaient sa vie.


                                                                                 FIN

                                                                                     *


Voilà la fin de ce roman. J'espère qu'il vous a plu. N'hésitez pas à commenter :-)

C'est un premier jet et il comporte certainement nombres de choses à améliorer, ce qui sera fait plus tard lors de la réécriture. Vos remarques sont donc les bienvenues pour mettre en lumière ce qui pourrait poser soucis. 

                                                                                     *


A la lisière de nos âmes [Terminée]Where stories live. Discover now