A la lisière de nos âmes [Terminée]

III-23.2. Derek

Quand le dessert fut avalé, Sasha interpella Célie.

— Célie, tu viens dans ma chambre ? Je crois que tu as des choses à me dire.

Il nota la rougeur soudaine qui colorait les joues de sa sœur. Elle avait dû discuter avec Zachary. Il profita de l'éloignement des deux femmes pour rejoindre sa tante dans la cuisine. Celle-ci lui tendit un torchon qu'il s'empressa de saisir. Elle ne mit pas longtemps avant d'aborder le sujet qui le taraudait. Il avait toujours apprécié cette franchise chez elle. Elle ne tournait pas autour du pot mais parlait toujours avec bienveillance.

— Je sais que tu te poses des questions, mon grand. Je vais te confier ce qui est arrivé à ta sœur. Je te demande juste de ne pas l'évoquer avec elle tant qu'elle ne sera pas prête à le faire.

Il opina, un sentiment désagréable s'insinuant en lui. Il pressentait que cette discussion n'allait pas lui plaire. Il continua d'essuyer la vaisselle, attendant la suite.

— Ton ami... Kay, il a essayé d'abuser de Célie. Il n'y a pas d'autre façon d'énoncer les faits. Je suis désolée, Derek.

L'impression de recevoir un uppercut dans l'estomac lui coupa la respiration pendant quelques secondes. Il empoigna le rebord du meuble, s'y accrocha à s'en faire blanchir les jointures. L'envie de frapper monta, pulsion si puissante qu'il en eut le vertige. La main douce de sa tante se posa sur son dos. La pression redescendit d'un cran. Il ferma les yeux, expira pour faire disparaître le voile rouge de sa vision.

— Elle a pu se sauver à temps. Mais...

Parce qu'il y avait un « mais » ! Son ventre se contracta de nouveau.

— Il est ici, à Boston. Elle m'a avoué l'avoir aperçu plusieurs fois.

Encaisser, de nouveau. La bile remonta, saveur acide qui s'imprégna sur son palais.

— Désolée, mon grand, répéta doucement sa tante. J'imagine le choc pour toi. Je suis contente que tu sois là maintenant.

Il hocha la tête, incapable de parler sous peine de hurler de rage. Les voix de Sasha et Célie résonnèrent aux abords de la cuisine. Il inspira profondément, puisa dans ses ressources pour se recomposer une façade de circonstance. Un dernier échange de regard avec tante Emmie, promesse silencieuse de garder pour lui cette conversation. Quand les deux filles apparurent, ils terminaient de ranger la vaisselle.

En fin de soirée, il raccompagna Célie à son appartement après avoir promis aux deux jeunes femmes de revenir très vite. Pendant le trajet, il resta perdu dans ses pensées, focalisé sur les révélations de sa tante. Sa douce Célie. Il crispa les poings, la colère bouillonnant en lui. Il arriva, Dieu sait comment, à ne pas exploser devant sa sœur. Celle-ci sommeillait à demi contre lui, bercée par les douces secousses de la rame du métro. Une fois à la station, il la soutint jusqu'à chez elle et alla jusqu'à la bordée dans son lit. Elle se pelotonnait déjà dans sa couette. Il repoussa délicatement les mèches devant son visage avant d'éteindre et de refermer la porte. Il décida de dormir dans le canapé pour plus de sécurité. Le mot le fit grimacer. Il aurait dû être là pour elle. Incapable de dormir, il alla dans la cuisine et farfouilla dans les placards à la recherche d'un truc fort. Apparemment, sa sœur n'achetait pas d'alcool. Il regarda quand même dans le petit meuble d'entrée, au cas où. A part des bricoles et son sac à main, sa recherche s'avéra vaine. Au moment de refermer la porte, un tas de courrier tomba sur le sol. Il rassembla le tout comme il le pouvait. Soudain, sa main s'immobilisa, en suspens au-dessus du plancher. Il laissa tomber tout ce qu'il tenait, les yeux braqués sur les clichés où Célie apparaissait. Il retourna l'un d'entre eux. Le « K » lui explosa en plein visage, le nargua. Putain, l'enfoiré ! Le sang battait à ses tempes, ses membres tremblaient. Il enfourna le tout dans l'enveloppe qu'il glissa dans sa poche de veste. Après avoir rangé le reste des papiers, il griffonna un mot à l'intention de sa sœur et se servit du double de clé confié pour refermer son appartement. Il sortit, le besoin d'air se faisant impérieux.