II- 21.2. Célie

64 8 5
                                    


La brûlure de l'alcool lui fit fermer quelques secondes les paupières. Sa langue vint recueillir une goutte à la commissure de ses lèvres. Ainsi isolée, les sons résonnaient avec davantage d'intensité. Les grincements du tabouret, le froissement du tissu, le verre rencontrant assez brutalement la surface du comptoir. Elle ouvrit vivement les paupières, sortant de sa bulle. Il bloquait sur elle, elle sentait la brûlure de son regard, comme hypnotisé par ses lèvres.

— Tu vas devoir me soudoyer pour que je passe sous silence ton écart au règlement.

Le sens de ses mots mit un moment à faire son chemin dans son esprit. Par contre sa voix rauque, légèrement éraillée traversa son corps telle une onde, faisant courir des frissons sur sa peau.

— Ah oui ? le défia-t-elle en s'accoudant sur le comptoir, se rapprochant de lui. Et à quoi penses-tu ?

Elle s'étonnait elle-même de son comportement. Jamais elle n'avait été ce genre de fille, joueuse, aguicheuse, sûre d'elle. Mais il la provoquait toujours. Ce soir, elle voulait se prouver qu'elle pouvait être autre chose qu'une femme timide. Elle testait ses limites et cela avait quelque chose de grisant. A moins que ce ne soit l'alcool... Il la jaugeait, ses yeux se rétrécirent. Puis il termina cul sec cette satané bière avant de repousser son tabouret.

— J'y réfléchirais. Bon, il est temps pour moi de lever le camp.

Elle eut du mal à ne pas crier de frustration. Prenant sur elle, elle se composa une attitude la plus neutre possible. A l'intérieur elle bouillait. Il l'allumait pour ensuite la laisser en plan. Ou bien elle avait totalement interprété de travers toute la scène. En saisissant la bouteille qu'il lui tendait, elle aurait pourtant juré voir un sourire amusé ourler ses lèvres. Se moquait-il d'elle ? Sa main s'attarda un instant de plus que nécessaire sur ses doigts. Son souffle se précipita. Elle se baissa pour mettre l'objet à la consigne, cachant son trouble.

— Je te raccompagne ?

—Non, merci. Ça va aller.

— Il est tard et... C'est un peu ma faute si tu dois rentrer à cette heure. Je m'en voudrais s'il t'arrive quelque chose.

Ça te ferait les pieds de culpabiliser un peu pensa-t-elle. En y réfléchissant, cela la rassurerait. Son quartier sans être l'un des pires, connaissait ses moments houleux. Traîner dans les ruelles désertes, à peine éclairer par les lampadaires défectueux ne l'emballait pas plus que ça. Elle haussa donc les épaules, comme si cela l'indifférait. Pas question qu'il se rende compte qu'elle appréciait sa proposition. Vu son ego, il n'en avait pas besoin.

— Tu rentres seule d'habitude ? s'enquit-il en jetant des coups d'œil autour de lui. On n'est pas loin de croiser un dealer dans une impasse ou un chef de gang.

— N'exagère pas non plus. On a déploré aucune mort suspecte ici.

— C'est parce qu'ils se débarrassent des corps autre part pardi.

Elle pouffa. Il avait vraiment l'esprit tordu.

— Tu regardes trop de séries toi, s'exclama-t-elle. Merci de me rassurer. Je vais bien dormir ce soir.

— Si tu veux que je reste pour veiller sur ton sommeil...
— Et puis quoi encore ? C'est ça le prix de ton silence ?
Ses yeux pétillèrent et il haussa un sourcil. Qu'avait-elle dit !
— Pourquoi pas.
Son cœur martela sa poitrine alors que ses joues devaient virer à l'écarlate. Heureusement pour elle la pénombre ambiante cachait ce détail.
— Ce n'est pas dans mes habitudes d'emmener des hommes à mon appart.
— Ok.
Sa réponse laconique la déstabilisa. Il abandonnait encore une fois son petit jeu sans prévenir. Elle devait vraiment mal s'y prendre, songea-t-elle en baissant la tête. On ne s'improvisait pas femme libérée en un claquement de doigts apparemment. Elle se drapa donc dans son silence, la complicité qu'elle sentait entre eux deux brutalement envolée. 

 
Ils finirent par arriver devant le petit immeuble où elle résidait. Tout à coup l'idée de se retrouver seule dans son petit deux pièces l'angoissait. Elle se tourna vers lui pour lui dire au revoir. Elle ne s'attendait pas une seule seconde à ce qui suivit. Son bras l'amena tout conte lui, son visage se trouvant à quelques centimètres à peine du sien, tandis que son autre main venait se saisir de son menton.
— J'ai décidé. Pour mon silence, un baiser. 


Elle garda ses yeux fixés sur les siens sans arriver à émettre un son. Son cœur battait la chamade. Il plongea vers elle, avant de bifurquer vers sa joue. Son souffle lui réchauffa la peau, ses lèvres y déposèrent l'esquisse d'un baiser.
Il allait la rendre folle, folle de lui. Il la raccompagna jusque devant sa porte, soi-disant pour être vraiment assuré qu'elle soit en sécurité. Jusqu'au bout elle espéra qu'il l'embrasse, vraiment cette fois. Elle en fut pour ses frais. Un petit geste de la main puis il se détourna. Ravalant son désappointement, elle rentra aussitôt à l'intérieur de son appartement.


La porte se referma avec un bruit sourd. Elle s'y adossa, respirant profondément. Jusqu'au bout il avait joué avec ses nerfs. A présent, il n'y avait plus qu'elle et son corps tendu, en attente. L'enfoiré, songea-t-elle tout en souriant. Son regard affamé la hantait encore, comme s'il se trouvait juste devant elle. Si c'était vraiment le cas tu te jetterais sur lui et tu ne serais pas en train d'endurer cette frustration la nargua sa conscience. Merci bien ! Elle n'avait pas besoin que son cerveau en rajoute une couche. 

A la lisière de nos âmes [Terminée]Where stories live. Discover now