INTRODUCTION : Le Garçon

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Portugal, aux alentours de 1580.

Enfermé dans une case sombre et humide, le garçon se recroquevilla sur lui-même, les joues ruisselantes de larmes.

Il aurait dû écouter sa mère, et ne pas continuer à s'éloigner tout seul des sentiers du village.

Alors qu'il courait parmi les herbes folles, des hommes dont il n'avait pas vu le visage s'étaient jetés sur lui, et l'avaient battu jusqu'à l'assommer.



Le garçon s'était réveillé enchaîné dans une cellule, entouré d'enfants de son âge dans le même état. Et le cauchemar n'avait alors fait que commencer.

Après des jours passés sans sortir de cette minuscule cellule, des hommes à la peau blanche les en avaient tous délogés, les trainant jusqu'à un bateau amarré à l'océan.

Des hommes et des femmes adultes étaient aussi présents. Ils criaient et pleuraient pour la plupart, même parmi les plus robustes d'entre eux. Les mères tendaient les bras vers certains des enfants avec lesquels le garçon avaient été enfermé, mais étaient rapidement matées par les longs bâtons avec lesquels les monstres les frappaient.

Alors que les montres les forçaient à coup de fouets à monter sur le bateau, d'autres adultes préféraient se jeter à la mer, pieds et mains toujours enchaînés.


Le garçon avait jeté un regard dans l'eau qui entourait la zone d'amarrage du bateau, en montant à bord. Le fond de la crique était tellement couvert de cadavres de noyés qu'il n'arrivait pas à en distinguer le fond.

On les avait ensuite tous fait descendre dans la cale du bateau, dont l'odeur était pire que tout ce qu'il n'avait jamais pu imaginer. On l'avait forcé à s'allonger à même le bois putride de la cale, tellement collé à ses voisins qu'il arrivait à peine à respirer.

Ainsi installé, noyé dans l'obscurité, la puanteur, et les sanglots qui régnaient dans la cale, un terrible mouvement de roulis secoua brusquement tous les passagers. Ils venaient de quitter la côte. Sur le moment, le garçon avait été trop sous le choc pour comprendre qu'il ne reverrait jamais son pays.



Après de longues semaines de traversée, uniquement ponctuées par sa sortie quotidienne sur le pont, durant laquelle les corps de ceux qui avaient succombé aux maladies et à la nourriture avariée étaient jetés par-dessus bord ; le garçon avait été débarqué dans un port inconnu.

Il avait été, pour la première fois depuis son incarcération, lavé à l'eau glacée. On avait rasé ses cheveux envahis par les parasites au cours de sa traversée, et son corps avait été couvert d'huile bon marché, de manière à faire briller sa peau.

Il avait été ensuite été exhibé sur une estrade, vêtu d'un simple pagne devant une assemblée de personnes à la peau blanche. Le seul homme blanc présent sur l'estrade criait des mots dans une langue inconnue à la foule, faisant avancer au fur et à mesure la file d'hommes et de femmes fraîchement débarqués du navire.

La femme placée juste devant lui fut violemment giflée alors qu'elle refusait d'exposer sa poitrine aux voyeurs. Le garçon préféra se laisser faire lorsque vint son tour, et se força à ignorer les regards et les mains qui le palpèrent un peu partout pour soupeser ses membres.

Lorsqu'il fut descendu de l'estrade, on l'embarqua dans une charrette où se trouvaient d'autres prisonniers, qui partit peu après la fin des enchères. Il fut débarqué devant un grand bâtiment entouré de plusieurs champs dans lesquels s'activaient d'autres personnes comme eux, qui levèrent la tête à leur passage.



Tout au long de ce voyage cauchemardesque, le garçon s'était demandé à de nombreuses reprises si il n'était pas mort. 

Il eut la réponse à sa question lorsqu'un homme lui marqua l'omoplate avec un fer rougi par les flammes, comme son père le faisait avec leurs vaches.

La douleur indescriptible de la brûlure, et l'odeur de sa chair grillée le firent sortir de l'état de sidération dans lequel il était resté plongé depuis sa capture, lui faisant enfin comprendre qu'il était bien pire que mort.



Il avait ensuite été conduit sous la lumière déclinante dans une misérable case de terre battue, solidement fermée à clé. Depuis qu'il y avait été abandonné, le garçon n'avait cessé de sangloter, sa marque au fer rouge encore douloureuse. Alors qu'il pleurait recroquevillé au sol, la porte de la case s'ouvrit.

Un homme à la peau encore plus sombre que la sienne le dévisagea un long instant, l'expression de son visage étant peu lisible dans l'obscurité ambiante. Puis il lui répéta à plusieurs reprises différentes phrases incompréhensibles, dites sur le même ton.

Enfin, au bout d'une dizaine d'essais, le garçon comprit la phrase prononcée par l'inconnu :

— Est-ce que tu me comprends, petit ?

— Je veux voir ma maman, sanglota le garçon dans sa langue native.


L'homme soupira, avant de répondre d'une voix désolée.

— Si tu es arrivé seul ici, je suis désolé, mais tu ne reverras plus jamais ta famille. Du moins, je l'espère de tout cœur pour toi.

Alors que le garçon gardait le silence, l'homme continua sur sa lancée, cette fois-ci imperturbable.

— Ton ancienne vie est terminée, petit. Et plus vite tu accepteras que tu n'as plus de famille, de prénom, ni de passé ; plus ça sera facile pour toi. Tu comprends ?

Le garçon ouvrit la bouche, avant de la refermer sans avoir pu prononcer un mot. Puis il finit par éclater en sanglots. C'était un cauchemar... Qu'avait-il fait aux esprits pour mériter un sort pareil ?


Lorsque ses larmes finirent pas se tarir, le garçon se rendit compte que l'homme l'observait toujours depuis le pas de la porte. Celui-ci lui tendit alors une gamelle remplie de nourriture.

— Tu n'as plus de passé, mais cela ne veut pas dire que tu n'as plus d'avenir. Je vais donc te poser une seule question, petit : Est-ce que tu veux vivre ?

Le garçon observa un long moment la nourriture encore fumante. Puis, lentement, il finit par acquiescer. Un sourire dépourvu de toute joie étira les lèvres de l'esclave, qui lui fit signe de le suivre.

— C'est bien, petit. Viens donc manger avec nous.

Le garçon se releva lentement, et emboita le pas de l'inconnu.

YasukeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant