CHAPITRE 2 : Alessandro

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Quelque part dans l'océan Indien, trois semaines plus tard

Alessandro écrivit quelques phrases sur son carnet de voyage, avant de sortir de sa cabine. Il déboucha sur le pont du bateau sur lequel il avait embarqué quelques jours plus tôt, à destination d'un pays où il n'avait encore jamais mis les pieds.

Le jésuite s'adossa au bastingage pour observer la mer en silence, mais fut vite rejoint par le capitaine du navire.

— Vous vous décidez à nous tenir compagnie, Frère Alessandro ?

— On dirait que oui, répondit-il d'un ton tranquille.


Alessandro avait passé la majorité de la dernière semaine cloîtré dans sa cabine, occupé à étudier les us et coutumes du territoire qui allait bientôt les accueillir.

— Qu'est-ce qui vous emmène en Orient ?, demanda l'homme, visiblement décidé à lancer la conversation.

— Une mission pour mon ordre religieux. Et vous ?

— Oh vous savez, nous sommes un navire marchand. Nous faisons la navette entre plusieurs pays avec diverses denrées. Pour l'instant, nous sommes spécialisés dans les épices et la soie, mais avant cela...

Le capitaine jeta un regard à Pedro, occupé à jouer aux dames avec d'autres membres de l'équipage.

— J'ai fait dans le transport de meuble.

Le « transport de meubles » était une manière parmi d'autres de désigner la traite négrière. Il y avait une certaine ironie à savoir que Pedro foulait chaque jour un pont qui avait par le passé abrité un grand nombre de ses semblables, destinés tout comme lui à une vie de servitude.

— Pendant que vous restiez dans votre cabine, votre nègre a réussi à mettre dans sa poche une bonne partie de mon équipage.

— Ah oui ?



Alessandro observa à son tour le colosse qui jouait du coude avec les matelots. Effectivement, il semblait être parfaitement dans son élément, bien loin du comportement neutre et effacé qu'il adoptait en sa présence.

— Y a pas à dire, reprit le capitaine. Il me semble plutôt futé. Pour un nègre, j'veux dire.

— Pedro est futé tout court, corrigea Alessandro d'un ton tranquille.

Et plus il passait du temps à son service, plus le jésuite était certain qu'il était beaucoup plus intelligent qu'il ne voulait bien le laisser paraître à ses propriétaires.

— Hé, capitaine !, appela l'un des matelots. Venez donc jouer avec nous.

— Et avec lequel d'entre vous ? Je vous bats tous à plate couture. Je joue à ce jeu depuis que j'écume les mers.

— Essayez un peu de battre Pedro !


Les matelots approuvèrent tous bruyamment, alors que Pedro jetait un regard incertain aux deux hommes.

— Perdre contre le nègre à un jeu de stratégie ? Tu veux être de corvée de latrines pour la semaine ?

Celui qui avait lancé la proposition rentra la tête dans les épaules.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire, capitaine.

— Je préfère ça.

Alors que le vieil homme s'apprêtait à s'éloigner, Alessandro releva d'un ton amusé :

YasukeWhere stories live. Discover now