4 : ALESSANDRO

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Permanence jésuite de Kyoto

—  Alors, que pensez-vous de vos premiers jours au Japon, frère Alessandro ?

— Force est de reconnaître que c'est une très beau pays, incroyablement avancé.

—  C'est certain que nos deux civilisations gagneront à s'échanger leurs savoirs.

Frère Hyacinthe fit entrer Alessandro, suivi par l'ombre silencieuse qu'est Pedro, à l'intérieur d'un monastère de taille modeste, situé en périphérie de la métropole.

Le jésuite était soulagé d'enfin atteindre la destination finale de leur voyage. Après les dernières semaines de traversée, qui s'étaient déroulées dans une ambiance pesante (le capitaine n'ayant pas digéré son humiliation aux dames), ils avaient été débarqués au port de Kobe, à une centaine de kilomètres de là.


Alessandro avait alors dû réquisitionner une caravane et un traducteur avec les fonds alloués par les Jésuites pour rallier Kyoto, située à l'intérieur des terres, en plusieurs jours.

Le Frère Hyacinthe, responsable de la communauté jésuite nippone et premier européen qu'il rencontrait depuis son départ de Kobe, était venu en personne les accueillir aux portes de la cité. Il semblait heureux de rencontrer un nouveau membre de son ordre.

Après avoir salué Alessandro avec chaleur, il les avait tous les deux conduits à la permanence jésuite, construite légèrement à l'écart de la cité.

— Nous avons repris en main un terrain gracieusement offert par l'empereur. Notre monastère a beau être de taille modeste en comparaison de ceux de notre nation d'origine, j'ai bon espoir quant à son agrandissement.


Hyacinthe présenta non sans fierté la concession qu'il avait pu construire en une quinzaine d'années. Il s'était indubitablement inspiré de la forme classique des monastères jésuites, tout en se pliant aux habitudes architecturales japonaises. Le résultat était un bâtiment composite, fait de bois et de pierre, qui intéressa beaucoup Alessandro. Le missionnaire continuait sa visite d'un ton joyeux, visiblement satisfait par les réactions de l'envoyé jésuite.

Alors qu'ils s'approchaient du modeste clocher de l'édifice, deux japonais en robe de bure se précipitèrent pour saluer respectueusement Alessandro. Les jeunes moines eurent cependant violent mouvement de recul en remarquant la présence silencieuse de l'africain dans le dos des deux hommes.

Alessandro n'était plus étonné par ces réactions surprises. Depuis qu'ils avaient débarqué sur place, la stature et la couleur de peau de Pedro stupéfiaient les foules. L'engouement devant l'esclave était tel que des attroupements avaient tendance à se former en sa présence, chacun voulant voir de ses propres yeux la carnation sombre de son corps. Il était certainement le premier africain à poser le pied sur le territoire nippon...

Après avoir terminé la visite, le missionnaire désigna la chapelle construite au bout de l'édifice.

— Votre chambre est déjà prête, mon frère. Pendant que votre esclave rangera vos affaires de voyage, nous allons réaliser l'office du soir. Ensuite, un repas chaud vous attendra.

Frère Hyacinthe s'adressa en japonais aux deux jeunes moines, qui s'inclinèrent sans un mot. Pedro emboîta le pas de l'un d'entre eux, malles sous le bras. Les moines avaient manifestement été chargés de le conduire aux appartements du jésuite.


Pendant ce temps, le reste du petit monastère se dirigea vers la chapelle. En tant que plus haut gradé de l'assemblée, se fut Hyacinthe qui se chargea de diriger la messe. Agenouillé au premier rang, Alessandro pria avec beaucoup de dévotion. Malgré l'utilisation régulière de son chapelet de prière, il n'avait guère eu l'occasion de se recueillir dans un bâtiment sacré depuis son départ du Portugal. Il put cependant remarquer avec étonnement qu'ils étaient une cinquantaine à faire partie de l'assemblée, à un quart européenne, et à trois quart japonaise.

YasukeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant