34. Geai moqueur

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Une fois entrée dans le Centre réaménagé pour les épreuves, je remarquai presque avec amusement que rien n'avait changé. Je ne pris même pas la peine de saluer les Juges, bien trop fascinée par le contenu de la pièce, me demandant bien ce dont j'allais me servir.

J'avais pensé à des couteaux, comme l'année passée mais je ne voulais les surprendre. Je jetai un regard circulaire à la pièce, pour trouver de l'inspiration quand je remarquai dans le fond de la pièce un oiseau aux plumes noires et blanches. Il était dans une cage dorée, sans doute là pour distraire les Juges. Je n'étais pas une spécialiste des oiseaux mais il me rappelait quelque chose... un  souvenir.

J'étais dans l'Exploitation avec Cycy quand elle en était encore la Chasseresse. Un jour où nous nous promenons toutes les deux, un peu avant l'ouverture, une nuée d'oiseaux chanteurs nous avait survolé. Cycy m'avait alors expliqué qu'il s'agissait de geais moqueurs, des oiseaux croisés entre les geais bavards, des mutations génétiques du Capitole et des oiseaux moqueurs. L'espèce était censée mourir, incapable de survivre dans la nature mais celle-ci était dotée d'une étonnante capacité d'adaptation et s'était multipliée dans tout Panem. Maintenant que je me rappelais de cette histoire, je ne pouvais m'empêcher de les comparer à moi. Après tout j'étais aussi une créature indésirable dotée d'un surprenant instinct de survie enfermée dans une cage dorée à attendre mon exécution.

A ce moment-là, je fus prise d'un élan de compassion pour cet animal qui s'était mis à chanter quelques notes mélancoliques. Ce qui me surprit le plus fut que je connaissais l'air qu'il chantait. Je mis quelques secondes à le reconnaître mais la réponse me fut rapidement évidente.

J'entendis alors la voix de Senecta Crane me rappeler à l'ordre :

- Mademoiselle Hawkins, vous avez dix minutes.

Je relevai mes yeux vers lui, comme émergeant du sommeil mais c'était trop tard. La chanson que répétait inlassablement le geai moqueur était beaucoup trop implantée dans ma tête, me faisant oublier tout le reste.

Comme guidée par une force extérieure, je me dirigeai vers les arcs, la main tendue. Je devais avoir l'air plus morte que vivante, avançant d'un pas lent, pensant. Des paroles commençaient à se former dans ma tête.

A minuit, te voir à l'arbre du pendu.

Veux-tu, veux-tu au grand arbre me trouver...

Lorsque ma main toucha le métal courbé de l'arc, j'eus un long frisson. Comme en transe, je l'effleurai lentement. Les souvenirs que j'avais toujours refoulés affluaient dans ma tête. Des voix, des regards, des gens, des vies...

Je saisis une flèche entre mes doigts, chantonnant la chanson à voix basse. Je me rappelais de tout. La hache de Kaden transperçant le dos de Parthe, ses derniers mots adressés à sa sœur, toute l'horreur que j'avais vu. Il avait chanté cette chanson en son hommage. Je devais en faire de même.

Là où ils ont lynché leur fameux meurtrier.

Des choses étranges s'y sont vues, moi j'aurais aimé.

Je tendis l'arc droit sur l'oiseau. Je n'entendis même pas les protestations des Juges, outrés tant mes oreilles bourdonnaient. Mon esprit était resté dans l'arène. Du coin de l'œil j'aperçus des Pacificateurs accourir vers moi mais je n'y fis pas attention, restant concentrée sur cet oiseau qui me fixait de ses yeux noirs avec curiosité.

Je lâchai ma flèche qui fila vers la cage. L'oiseau, nullement terrorisé laissa la flèche passer à travers la cage avant d'ouvrir ses ailes en un gracieux mouvement pour la saisir dans son bec fin. Les Pacificateurs s'étaient immobilisés, surpris et les hurlements furieux des Juges avaient cessé, laissant place à la stupéfaction. Je m'approchai de l'oiseau à pas prudents pour ne pas l'effrayer. Étrangement, il ne bougea pas d'un centimètre, comme s'il avait compris que je lui voulais que du bien. Arrivée à sa hauteur, voyant que personne n'avait encore bougé, j'ouvris brutalement la cage, libérant ainsi le geai moqueur. Celui-ci lâcha la flèche et poussa la porte d'un puissant coup d'aile avant de prendre son envol.

Il était majestueux mais malgré toute sa force, il ne parviendrait pas à s'en sortir tout seul. Je saisis donc une nouvelle flèche et l'envoyai vers la fenêtre la plus proche qui vola en éclats. L'oiseau sembla immédiatement comprendre car il se dirigea vers celle-ci, évitant agilement les balles des Pacificateurs avant de s'envoler vers le district Treize. Il disparut dans le zénith.

Tous les Juges étaient restés stupéfaits tandis que je reposai calmement l'arc. Je ne regrettai pas une seconde ce que j'avais fait malgré le fait que je savais pertinemment que ma note allait être basse. Les deux tirs avaient beau être dans leur cible, aucun des deux n'était particulièrement complexe mais au fond de moi, je m'en fichais. Jackson avait raison, quelque soit ma note, personne n'oublierait qui je suis. C'est pour cela que je tournai les talons vers la sortie sans un regard vers les Juges.

Immédiatement, deux Pacificateurs cherchèrent à me barrer la route, voulant sans doute que je m'excuse pour avoir laisser partir leur unique distraction. J'eus un petit ricanement avant d'arracher la batte de fer d'un Pacificateur inattentif.

- Laissez-moi passer si vous ne voulez pas que je vous règle votre compte maintenant, exigeai-je d'un ton glacial.

- Vous n'êtes pas autorisée à quitter la salle avant d'avoir exposé vos talents, riposta un Juge furieux.

Je levai les yeux au ciel, exaspérée. Il fallait toujours qu'ils compliquent tout !

- Très bien, vous l'aurez voulu ! m'écriai-je irritée.

Je fis tourner la batte entres mes doigts avant de constater qu'elle était plus lourde que ce que j'avais l'habitude d'utiliser. Le premier Pacificateur tenta de m'éloigner de la sortie mais d'un habile coup dans la jambe gauche, je le fis tomber à terre. Les autres se mirent aussitôt en position d'attaque tandis que je m'approchais de nouveau de la porte, désireuse de quitter cet endroit au plus vite. Les coups pleuvaient de toutes parts. Les Juges me criaient de revenir à la raison mais je ne les écoutais pas. Les Pacificateurs se multipliaient mais je savais très bien qu'ils n'avaient pas le droit de me faire du mal, ce qui rendait le combat assez inégal.

J'avais à présent deux battes avec lesquelles je jouais continuellement. J'avais évidemment reçu quelques coups par-ci par-là mais rien de bien méchant. Je savais qu'ils les retenaient.

- C'est étrange, vous semblez avoir perdu toute votre force. Il me semblait bien que vous en aviez davantage quand vous avez battu ma mère à mort, les provoquai-je avec toute ma haine.

Mes coups redoublèrent d'ardeur. Chacun que je donnais me donnait la sensation de voir ma mère attachée à un poteau d'exécution. Je pouvais presque entendre ses cris de douleur traverser l'Agora. Je perdis encore une fois le contrôle, perdue dans mes souvenirs douloureux. Je me battais comme je ne m'étais jamais battue. Je voulais vivre, me venger. Me venger de tout ce que le Capitole m'avait pris et de tout ce qu'il allait me prendre. A chaque fois que je pensais l'abattre, un nouveau plan retors de Snow redorait son image. Je vis alors le bouton de sortie qui ouvrait le sas. Dans un geste presque désespéré, j'abattis mon arme sur lui. Il se mit à faire des étincelles et le sas s'ouvrit juste à temps. Une dizaine de Pacificateurs venaient de rejoindre les premiers et je savais qu'ils n'allaient pas hésiter à me tirer dessus avec je ne sais quelle drogue. Je m'apprêtais à quitter la salle quand je reçus un énorme coup sur la pommette gauche qui m'envoya à terre suivi de trois nouveau au niveau de mon crane. Je repris mes esprits avec difficulté, tentant d'y voir plus clair face à la scène qui se déroulait devant mes yeux. Un autre Pacificateur se tenait devant moi, les traits déformés par la rage. Il s'apprêtait à me mettre un autre coup quand je vis une silhouette s'interposer juste à temps.

Je n'eus pas plus le temps de voir ce qu'il se passait et sombrai dans l'inconscience. 

La Gladiatrice III - Fanfiction Hunger Games -Where stories live. Discover now