Chapitre 5

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Les gens sont comme des tableaux. Au début de leur histoire, ils sont blanc immaculé. Puis, chaque personne, chaque émotion y laisse des marques colorés. Certaines toiles sont comprises par tous, d'autres sont si mystérieuses que même leur auteur ne saurait les comprendre.

De quelle couleur est votre toile ? Quels coups de pinceaux y figurent ?

Je place le carré blanc sur le chevalet puis j'attache mes cheveux. Ça fait si longtemps, une légère angoisse monte en moi. La peinture appliquée sur les poils de mon outil, je viens déposer lentement cette couleur bleuté sur les irrégularités de mon support. J'avais presque oublié cette sensation d'apaisement que cet art me procure.

Bleu. Mon cœur est-il bleu ce soir ? Le silence qui m'entoure, cette solitude, commencent à peser lourd. Pourquoi suis-je seule à la nuit tombée ? Personne n'est là pour contenir mes démons. Me voilà seule avec eux.

Je ferme les yeux et respire profondément pour faire taire ses émotions en moi.

Et toi, petite toile, qui es-tu ? T'a-t-on également abandonnée ? Que faisais-tu ici toute seule ? Tu attendais qu'on vienne te chercher ? Tu attendais quelqu'un pour te sortir de cette solitude ? Que tu es bête petite toile. Stupide petite toile. Tu mérites d'être salie toi aussi. Personne ne viendra te sauver.

Je l'observe un instant puis sans réfléchir mes mains débouchent la couleur noire. Le pinceau tombe à mes pieds et j'insère mes doigts dans le liquide froid. Douce sensation.

Étalant frénétique cette obscurité sur ma page vierge, je ne peux plus stopper la course folle de mes mains. Les larmes roulent sur mes joues pendant que je maltraite mon œuvre. Ma gorge se noue, je ne peux plus rien contrôler.

Je frappe cette maudite toile de toutes mes forces avant de la balancer avec toute ma violence à travers la pièce. Ma respiration est saccadée, je ne sais plus où je suis, qui je suis. Le poids dans ma poitrine est lourd alors je me laisse glisser jusqu'au sol. Mes bras s'enroulent autour de mes jambes et j'enfouis ma tête entre mes genoux.

L'air ne passe plus à travers mes sanglots. Mais qui peut bien s'en préoccuper ? Personne n'est là ce soir et c'est comme si rien n'avait changé depuis tout ce temps.

Je reste là, immobile, à déverser des larmes salés sans pouvoir m'arrêter. Mes muscles se contractent sous la colère et, comme au bon vieux temps, je tourne ma tête contre le sol pour étouffer mes grognements de rage.

Souffre en silence. Meurs seule. Personne ne viendra te secourir.

Au bout d'un long moment, mon corps tombe sur le côté d'épuisement et je m'endors là, à même le parquet, seule avec ses douleurs solitaires.

***

Un énorme bruit me réveille en sursaut. Mon rythme cardiaque retrouvé, je tends l'oreille quand un nouveau coup me surprend. Ce boucan vient du bureau à côté de mon atelier.

C'est quoi ce raffut ? Jungkook ? Il fout un bordel pas possible et puis d'un coup, plus rien.

Pourquoi il n'y a plus de bruit ? Est-ce qu'il va bien ? Est-il blessé ? Est-il mort ?

Putain. Je fais quoi ?

Je peste toute seule en me levant. Mes pas me dirigent vers le bureau. Mon oreille collée à la porte, je n'entends plus aucun son. Je toque. Aucune réponse. Fait chier !

J'enclenche lentement la poignée et pousse doucement la porte. La pièce est dans un désordre pas croyable. Des feuilles griffonnées sont éparpillées au sol. Lorsque j'aperçois l'ordinateur qui affiche un logiciel de montage audio je comprends enfin l'origine de cette colère.

Mes yeux vont plus loin dans la pièce et tombent sur lui. Il est assis par terre contre le mur, les yeux fermés et les sourcils froncés. Sa cage thoracique se crispe de façon violente et incontrôlée. Je l'observe silencieusement.

De quelle couleur est ta toile ? Elle semble comme la mienne ce soir. Mon cœur s'est étrangement mis à battre d'empathie.

Mes genoux se plient et je m'accroupie face à lui. Ma main glisse naturellement sur sa cuisse. Mon contact le surprend, il ne m'a pas entendu arrivé.

Son regard plonge dans le mien profondément. Mes yeux dans ses yeux, mon cœur se serre. Je connais ça trop bien. Oui Jungkook, je comprends. Moi aussi, je connais la douleur, la colère, la peine, le désespoir, cette putain de noirceur gravée dans l'âme. Cette putain de couleur noire.

Je me relève et lui tends ma main pour l'inviter à me suivre.

Ne la laissons pas s'emparer de nous. Jamais.

Ce soir, nous ne sommes pas seuls.

TROUBLE MAKER [Jeon Jungkook Fanfic Fr] [TERMINÉE] by CiousWhere stories live. Discover now