VII. La Colombe

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La grand-rue était déjà fort animée, à cette heure matinale. Il n'était pas encore huit heures. C'était un mardi comme les autres, frais et pluvieux. Les parapluies des passants se croisaient sous le ciel gris et lourd, des chiens errants s'ébrouaient dans les nombreuses flaques d'eau qui s'étalaient sur le pavé froid et quelques voitures rutilantes tentaient de se frayer un chemin parmi cette pagaille. Comme à son accoutumée, la pluie sévissait sur Birmingham, incessante et glaciale.

Vêtu de noir de la tête aux pieds, une cigarette coincée entre ses lèvres abîmées par le froid, Thomas avançait d'une démarche décidée dans l'allée grouillante de monde. Bien qu'il eût les traits tirés et le teint pâle, il était parfaitement éveillé pour son premier entretien de la journée. Il avait rendez-vous avec Henry Wolfe.

Au départ, il avait convenu que ce serait Arthur qui rencontrerait le propriétaire de La Sirène mais au dernier moment, Thomas avait décidé qu'il irait. Lui-même. Il ne pouvait laisser son frère assumer cette mission si importante. Parce qu'il était question des Billy Boys – et donc indirectement, Oswald Mosley. Même si son aîné avait à peine contesté, Thomas n'avait pu éviter le regard noir que lui avaient adressé Ada et Polly. Or, il n'avait que faire de leur opinion et encore moins de celle de son épouse, qui semblait fort peu encline à ce que Thomas retournât au cabaret. Il ignorait pourquoi, d'ailleurs. Quant à Finn, il s'était muré dans le silence. Thomas avait préféré l'ignorer. Depuis des jours et semaines, Finn ne pensait plus qu'à la chanteuse du cabaret. Aucune fille de joie ne parvenait à lui faire oublier la belle rousse, malgré les nombreux efforts de ses acolytes pour lui changer les idées. Cette Sirène l'avait véritablement envoûté.

Tel un charme.

D'un pas vif, Thomas tourna à l'angle d'une rue et enfin, il aperçut la devanture sale et écaillée de La Sirène. La porte close et sombre avait besoin d'un bon coup de peinture, et les fenêtres d'un nettoyage approfondi. En plein jour, l'établissement paraissait encore plus pittoresque. Une masure presque insignifiante, noyée dans la brique rouge et la chaussée humide de Small Heath.

Après un bref raclement de gorge, Thomas jeta son mégot dans le conduit des égouts et frappa à la porte d'une main gantée et ferme. Il attendit quelques secondes, mais personne ne vint lui ouvrir. Il frappa deux coups supplémentaires contre le panneau de bois. Rien. Il patienta encore. Toujours rien. Alors qu'il allait faire demi-tour, la porte s'ouvrit à la volée.

- Oui-oui, j'arrive Pet...

Thomas resta de marbre. Ce n'était pas Henry Wolfe qui se tenait là. C'était une femme. Sa cascade de cheveux roux lui donnait une aura indescriptible. Une lueur semblait émaner d'elle, et ses yeux émeraude brillaient à la très faible lumière du soleil. Une flamme unique dans la poussière des bas-quartiers.

La Sirène.

Dès qu'elle croisa son regard, son teint vira au rouge carmin.

- Oh, pardon ! s'excusa-t-elle, confuse. J'ai cru que...

Thomas demeura impassible, ses yeux clairs fixés sur elle. La jeune femme portait des haillons usés et élimés, beaucoup trop grands pour elle. Rien à voir avec la somptueuse toilette qu'elle arborait quelques jours plus tôt, soyeuse et scintillante. Et une trace de suie lui barrait le front. Malgré son apparence peu soignée à faire pâlir les nobles de ce monde, le regard de Thomas ne put s'en détacher, comme à la vue d'une mésange bleue posée sur une branche d'arbre, au beau milieu de l'hiver. Un petit miracle.

- Vous êtes venu voir mon oncle ? Heu, Monsieur Wolfe, j'imagine ? se reprit-elle immédiatement d'une voix claire, essuyant ses mains pleines de mousse dans un torchon de lin, orné de rayures rouges.

La Flamme | PEAKY BLINDERSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant