VIII. Le Garrison

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Jade était terrifiée.

Et pour la première fois de sa vie, ce n'était pas à cause de son oncle. Le soir même, elle n'allait pas chanter à La Sirène, comme elle avait coutume de le faire depuis des années. Non. À vingt-deux heures tapantes, elle était attendue au Garrison.

Le pub des Peaky Blinders.

Le cabaret était menacé depuis la venue d'un groupe d'hommes que Jade avait eu la malchance d'apercevoir à plusieurs reprises. Les Écossais. Et à en croire les rumeurs qui circulaient dans les coulisses du cabaret et les rues alentour, ces individus étaient peu recommandables – voire pas du tout. Matthew et Nathaniel s'étaient renseignés et, d'après leurs informations récoltées çà et là, c'était un gang aux chants funèbres et surtout, qui était le nouvel ennemi des Peaky Blinders.

À présent, il régnait un climat particulièrement tendu à Birmingham. Jade n'avait donc plus le droit de sortir seule et Henry s'arrangeait pour que sa nièce fût toujours accompagnée. Bien souvent, c'était l'un des membres des Peaky Blinders qui suivait Jade à la trace, comme son ombre. C'était rarement la même personne qui lui emboîtait le pas, mais elle n'avait de cesse d'être surprise par la ponctualité et la connaissance pointue de ses activités. Jade avait l'impression d'être traquée en permanence. Même Lily était parfois surveillée de près car la Mort rôdait non loin d'elle, planant tel un vautour menaçant.

Seule dans la jolie pièce de vie de son oncle et de sa tante, Jade était confortablement installée sur le siège de son piano, un stylo à plume à la main. Une feuille vierge couleur ivoire trônait sur le tiroir de l'instrument de musique, illuminée par un rayon de soleil. Il régnait un silence religieux, à cette heure avancée de la matinée. La jeune femme avait terminé ses premières tâches de la journée et, aussi étonnant fût-il, Henry lui avait accordé une longue pause. Pour écrire une chanson.

La semaine passée, son oncle lui avait fait une annonce qu'elle n'était pas prête à oublier. Dans l'accord qu'il avait signé avec les Peaky Blinders, il était mentionné qu'une fois par semaine, elle devait chanter ailleurs qu'à La Sirène.

Chez eux.

Or, cela faisait cinq jours que Jade était en panne d'inspiration. D'ordinaire, elle avait toujours un air en tête et écrivait facilement des morceaux qui ravissaient tant son oncle que le public de La Sirène. Bien sûr, des couplets et des notes avaient jailli de temps à autre devant son piano, mais rien de concluant. Elle avait déjà jeté une multitude de feuilles froissées et raturées, insatisfaite. Que lui arrivait-il ? C'était bel et bien la première fois qu'elle était absolument incapable de composer une chanson digne de ce nom. À cause de la peur.

Bien qu'elle craignît rarement les hommes – excepté son effroyable oncle –, Jade ne se sentait pas à son aise en présence du groupe aux casquettes sombres, et ce n'était pas pour rien non plus qu'elle était tendue au possible quand ces Écossais infréquentables traînaient dans les quartiers voisins, avec leur air méprisant et leurs regards beaucoup trop insistants. À présent que Jade avait compris que l'homme rencontré au marché n'était autre que le chef de leur gang, elle doutait de tout et de tout le monde. Il n'y avait qu'en Lily que Jade avait confiance. Elle ne pouvait plus compter ni sur son oncle si sur sa tante, qui avaient signé un accord de principe avec les Peaky Blinders pour que leur établissement fût protégé – et épargné – de la menace des Billy Boys.

Et puis, il y avait Thomas Shelby.

Jade ne savait que penser de lui. Au premier abord, il semblait inaccessible, terriblement impressionnant et sans la moindre once de sympathie. Un masque d'albâtre, froid et implacable qui ne s'effritait jamais, même pas pour un semblant de sourire. À la place des yeux, deux perles claires fusillaient le monde d'un battement imperceptible de leurs longs cils, comme Jade en avait rarement vus chez un homme. Son regard était glacial, et pour la première fois de son existence, elle avait été mal à l'aise face à un autre homme qu'Henry. Thomas Shelby était une menace, un être marmoréen aux habits parfaits. Pourtant, Jade n'avait rien laissé transparaître devant lui – sauf quand Henry s'était adressé à elle, bien sûr. Et elle redoutait que cet intrigant Shelby eût remarqué son brusque changement d'attitude. Avec les hommes, Jade était feu et défi mais, avec Henry, elle n'était plus que cendres et terreur. Malheureusement, ce Thomas Shelby avait peut-être remarqué cela. Son autre visage.   

La Flamme | PEAKY BLINDERSWhere stories live. Discover now